TOGO : Après la présidentielle, la grande question de la biométrie électorale


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Après plusieurs décennies d’élections frauduleuses et irrégulières, le défi de la biométrie électorale s’est imposée progressivement à plusieurs pays africains. Si elle n’est pas la solution de go, elle est un début de transparence. Après la présidentielle de avril 2015 au Togo, elle est devenue plus que jamais source de débat. Le collaborateur de Afrikaexpress, Régis Marzin y a consacré un dossier sur le sujet en Afrique. Nous en proposons la partie concernant le Togo. Bonne lecture!
 
Depuis 2005, le fichier électoral togolais est contesté. La biométrie pour l’enregistrement, sous la responsabilité de la société belge Zetes en 2007, 2010, 2013 et 2015, qui était censée éliminer les doublons et les votes multiples, n’a pas permis de rendre fiable le fichier électoral. Celui-ci est resté impropre et objet d’un contentieux majeur. Jean-Pierre Fabre et l’Alliance Nationale pour le Changement (ANC) ont déposé plainte le 18 mars 2015 à Bruxelles contre Zetes[1], en raison du grand nombre d’« électeurs fictifs ».
 
Comme en Guinée Conakry, une fois la société privée mise en cause, d’autres intervenants neutres ont dû être appelés pour corriger le fichier. Contraint par l’évidence de la médiocrité du fichier démontrée par l’opposition, le Ministre de l’administration territoriale, Gilbert Bawara, a demandé un contrôle rapide de ce fichier à l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). Suite à une analyse rapide et la publication d’un rapport le 7 avril[2], l’hypothèse d’un report pour consolider le fichier a été abandonnée car refusée par le pouvoir.
 
Pour les législatives de 2007, la société Zetes a enregistré une première fois des électeurs sans fichier d’état civil selon des justificatifs variés, à 79,49%, le témoignage du chef traditionnel, et, à 16,18% la carte d’identité[3]. Des doublons pouvaient être supprimés par un serveur situé à Bruxelles[4], mais, de cette manière, la biométrie ne fiabilise pas le fichier puisque le problème est en amont au niveau identité et état civil.
 
Malgré quatre étapes de modification du fichier électoral menées par Zetes pour quatre scrutins, le taux d’inscription par témoignage n’a baissé que de quelques pourcents. En effet, l’Organisation Internationale de la Francophonie a signalé en avril 2015 dans son rapport sur le fichier électoral[5] que « le nombre élevé de personnes inscrites par témoignage sur le fichier électoral (2643397, soit plus de 75%), induit une incapacité de vérification formelle de l’identité des personnes, ainsi que de leur âge et de leur nationalité. »
 
En prévision de la présidentielle de mars 2010, le 9 janvier 2009, le gouvernement togolais a acheté 500 kits électoraux à Zetes, avant même la mise en place de la CENI[6], par un contrat de gré à gré. Le journaliste R. Kédjagni commentait ce contrat : « l’éternel ministre de la Coopération Gilbert Bawara et son collègue de l’Administration territoriale d’alors Arthème Ahoomey-Zunu s’acharnaient à défendre les intérêts de Zetes qui serait proche du Commissaire européen au Développement et à l’Action humanitaire, Louis Michel ». Le ministre Gilbert Bawara est en effet proche de Louis Michel : ensemble, entre 2005 et 2007, ils ont travaillé à la reprise de la coopération européenne au Togo après 15 ans de sanctions[7], qui a permis à Faure Gnassingbé d’entrer dans une stratégie d’enlisement dans de la fausse démocratie. En 2015, Gilbert Bawara, devenu ministre de l’Administration territoriale, a été de nouveau l’un des organisateurs principaux d’une mascarade, dont il a orchestré des parties sensibles, et en particulier, la stratégie de désinformation par des media internationaux[8] et de censure d’internet[9].
 
Dans son ‘Rapport sur les prestations de la société Zetes dans le cadre des opérations de révision des listes électorales pour l’élection présidentielle de 2010’ du 28 novembre 2009[10], la CENI avait constaté : « l’absence, sur les Kits, de plusieurs composants ou matériels nécessaires au bon fonctionnement de plus de la moitié des Kits … la société Zetes a fait comprendre à la plénière que, conformément à la demande du gouvernement, le logiciel installé sur les kits est destiné au recensement, comme en 2007, et non à la révision des listes électorales ; en effet, les fonctionnalités et spécifications exigées par la CENI, dans le cadre d’une révision des listes électorales, ne sont pas prises en compte par le logiciel ». La CENI avait conclu : « il est permis d’émettre de sérieux doutes sur la compétence de la société Zetes et sa capacité à accompagner convenablement la CENI tout au long de ses travaux. »
 
Le journal Liberté avait commenté ce rapport[11] : « le gouvernement notamment le ministre de l’Administration[12] qui a, à travers un contrat de gré à gré, commandé les kits avant la mise en place de la CENI, n’a apparemment rien fait pour rectifier le tir. On a l’impression que tout ce qui est arrivé a été manigancé par Zetes et ceux qui ont acquis les kits. Une complicité entre les deux entités visant peut-être à manipuler le fichier électoral au profit de qui l’on sait. Ainsi, il est possible que le président de la CENI ne soit pas au courant de ce deal et qu’il ait innocemment produit ce rapport accablant contre Zetes. Et après la tentative d’explication, il est rentré dans les rangs en faisant convoquer le corps électoral malgré le cafouillage qu’il y avait sur le terrain. »
 
Le 3 mars 2010, l’association Synergie Togo indiquait[13] : « les circonstances de la commande des 1275 kits d’identification livrés à la CENI par le Ministère de l’Administration soulèvent des questions, vue l’opacité qui a prévalu au choix du fournisseur et à l’acquisition des kits. En effet, dans un communiqué publié en janvier 2009, la société Zetes, fournisseur des kits avait annoncé avoir obtenu un marché pour la fourniture de 500 kits d’identification au Togo. Quant à l’appel d’offres ou la commande de gré à gré complémentaire, ils n’ont plus fait l’objet de la moindre publicité… En réalité, des carences graves entachent le processus électoral en cours : la révision des listes élections a été délibérément chaotique dans les zones 1 et dans certaines préfectures de la zone 2, régions les plus peuplées et réputées favorables à l’opposition, …Un fichier électoral gonflé de 16% soit environ 450 000 électeurs de plus que le corps électoral de 2 850 000 électeurs qui devaient constituer la norme ».
 
Pour les législatives de 2013, la mascarade étant basée sur le découpage électoral totalement déséquilibré, et, cela étant admis par tous[14], il a peu été question de Zetes et du fichier électoral.
 
Pour la présidentielle du 25 avril 2015, l’association Synergie Togo, à Paris, a indiqué le 13 avril 2015[15] que « le report de dix jours de l’élection présidentielle, mis à profit pour vérifier le fichier électoral, n’améliore pas significativement les critères de transparence, de justice et d’équité reconnus par les standards internationaux » et que « la fraude au fichier avant scrutin est ainsi ramenée, pour l’élection présidentielle du 25 avril 2015 de 13 à 10% du corps électoral en moyenne, avec des disparités importantes selon les préfectures ». 10% du fichier correspond à 350 000 électeurs indus.
Lors de la conférence de presse de sortie du rapport synthétique remis à la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI), le chef de la mission de l’OIF d’appui à la consolidation du fichier électoral togolais, le Général Siaka Sangaré, a indiqué que ‘le fichier électoral n’est pas exempt d’erreurs mais permet(tait) aux togolais d’aller à la présidentielle’[16]. Ainsi, la date de la présidentielle le 25 avril et le fichier électoral impropre ont été imposés par le pouvoir.[17]
 
Siaka Sangaré est expert électoral confirmé qui, entre autres, est intervenu sur la présidentielle en Guinée Conakry en 2010, sur le processus électoral très sensible de la présidentielle à Madagascar fin 2013[18], président en 2015 du Réseau des compétences électorales francophones[19], proche de l’OIF, et il a participé à l’écriture d’un « guide pratique pour la consolidation de l’état-civil et des listes électorales » pour l’OIF[20]. Il était déjà présent au Togo à la présidentielle de mars 2010. En juin 2015, l’OIF songerait à offrir ses services pour un nettoyage du fichier togolais pour les législatives de 2018, et sans doute déjà pour les municipales de 2016.
 
A aucun moment, en 2015, le débat n’a porté sur la responsabilité de la société belge. Combien a été payé Zetes pour son travail de 2007, 2010, 2013 et 2015 ? Seul le pouvoir togolais semble le savoir. Quasiment aucune information ne circule sur les contrats, les cahiers des charges, les difficultés rencontrées. La gestion de la biométrie électorale au Togo est opaque. Le résultat, c’est que le fichier s’est tellement peu amélioré depuis 2007 que l’OIF proposerait ses services, comme elle l’a fait en Guinée Conakry. Le 7 avril 2015, l’OIF a signalé 2158 doublons dans le fichier togolais[21], et pourtant en 2013, Zetes a été payée pour supprimer rapidement les doublons du fichier de Guinée Conakry[22] : étrange paradoxe !
 
Selon le site Afrika Express[23], « la fraude n’est pas le fruit d’une précipitation et de l’improvisation. Elle a été planifiée de fond en comble. .. Distribution massive de cartes d’électeur et achat de consciences notamment dans les hameaux reculés. .. C’est au sein de l’armée que se trouve la nouvelle machine. Des sources concordantes ont révélé qu’au moins 1800 militaires de divers grades étaient représentants du parti au pouvoir dans les bureaux de vote au nord du pays… Tout au long de la frontière ouest avec le Ghana, l’opération a été minutieusement organisée. Que ce soit du côté de Kidjaboum, Katchamba, Guérin Kouka ou Bassar, les populations sont presque identiques des deux côtés de la frontière. Les acheminer par milliers n’a posé aucun problème. Venus par Tindjassé et Yégué, ces ‘’votants d’un jour’’ ont été convoyés par camions et logés par la préfecture de Wawa..». Les fraudes par distribution de cartes électorales, par votes des étrangers et de mineurs, sont une conséquence de l’état du fichier électoral. Se sont ajoutées, entre autres et surtout, les importantes fraudes par falsification des résultats des Procès Verbaux.
L’absence de transparence sur la collaboration entre Zetes et le gouvernement togolais passe depuis 2007 par le court-circuitage de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni). Les derniers jours de la campagne de la présidentielle de 2015 se sont concentrés sur la lutte pour ou contre le logiciel ‘Success’ du béninois Clément Aganahi, expert proche de l’Ue et de l’Onu. Celui-ci avait arrêté sa mission au Tchad pour se concentrer sur le Togo[24], et y devenir le moteur d’une sorte de « CENI parallèle ». L’intérêt de son logiciel de transmission et de compilation des résultats qui aurait pu fournir des résultats partiels dès le soir du vote ou le lendemain, fut finalement qu’il a montré que le programme de falsification des résultats était prévu avant le scrutin, et qu’il s’appuyait sur l’imposition du ‘fait établi’. Espérant utiliser une technique classique de propagande, Faure Gnassingbé escomptait qu’il serait impossible de démentir les tendances initiales et qu’il suffirait ensuite de lâcher quelques miettes de reconnaissance d’erreur au milieu d’une communication internationale intensive[25].
 
Même sans le logiciel Success, Faure Gnassingbé et ses adjoints ont réussi à imposer un ‘consensus international de désinformation’ pour camoufler sa 4e mascarade. Depuis plusieurs années, il avait déjà réussi le tour de force de renverser les pressions qui pesaient sur lui depuis son coup d’Etat sanglant en 2005 en une négociation perpétuelle, dont il sort toujours gagnant, grâce à quelques lâchés de lest, beaucoup de tergiversations et la corruption de personnalités influentes, journalistes, politiques, membres de la société civile. En 2015, sa communication internationale intensive pour imposer un faux résultat s’est appuyée sur le ghanéen Mohamed Ibn Chambas, représentant personnel du secrétaire général de l’ONU en Afrique de l’ouest, soutien inconditionnel de la dictature togolaise depuis 2005. Les responsabilités de la société belge Zetes et de Mohamed Ibn Chambas dans la 4e mascarade électorale togolaise depuis 2005[26] font partie des non-dits, des secrets des diplomates complaisants et principaux corrompus.
 
Pour les élections, l’Ue a contribué pour 20 millions en 2010, puis 2 millions en 2013, et 2 ou 4 millions pour 2015. Si le contribuable européen, qui n’apprécie pas le gaspillage, mériterait de mieux comprendre la logique de la coopération au Togo, alors que la dictature persiste, il mériterait aussi de comprendre les modalités de l’intervention de la société Zetes dans les processus électoraux. Le cas du Togo est l’exemple de la dictature où la question de la biométrie électorale est restée un quasi ‘tabou’, tabou accentué par la répression de la liberté de la presse, et un symptôme de la médiocrité du processus de démocratisation.
 
Est-ce un hasard si la société belge est arrivée au Togo en 2007 quand se décidait la fin des sanctions européenne contre la dictature ? Si l’Ue est piégée au Togo, son « influence douce » démocratique désamorcée, et son ambassadeur contraint en 2015 à de la langue de bois digne de la Françafrique chiraquienne de 2005[27], c’est qu’il y a des raisons. Le comportement de Zetes au Togo n’est peut-être qu’un symptôme.
 
Régis Marzin, Paris, France
 
source : afrika express
 

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