Des banderoles du CAR au message démobilisateur déployées en ville, des tractations pour assigner l’ANC pour « escroquerie politique »… Le boycott, un piège tendu au peuple togolais
Les Togolais entre participation et boycott. C’est ainsi qu’il convient d’apprécier l’attitude des électeurs face au scrutin du 15 avril prochain qui se profile à l’horizon, tant les Togolais sont partagés. Au départ envisagée comme une simple source de pression sur le pouvoir afin de le pousser à exécuter les réformes, cette dernière option prend de l’ampleur. La dernière, ce sont des banderoles qui sont placardées sur certaines rues et appelant indirectement les électeurs à ne pas se rendre aux urnes. Pendant ce temps, des tractations sont menées pour assigner le principal concurrent du candidat du pouvoir, Jean-Pierre Fabre et son parti en justice pour un curieux grief : escroquerie politique. Ce sont simplement les grandes manœuvres électoralistes qui ont (re)commencé.
Des banderoles griffées CAR appelant tacitement au boycott
On sait le Comité d’action pour le renouveau (Car) dans cette dynamique depuis. Comme annoncé, le parti n’a pas présenté de candidat à l’élection prochaine. Le mardi 3 mars dernier, Me Dodji Apévon déclarait sur RFI que sa formation n’appellera pas ses militants à se rendre aux urnes, sous prétexte d’absence des réformes et de mesures de transparence du scrutin. Nous y avons vu un simple euphémisme et relevé que cela s’entendait d’un appel tacite au boycott. Les faits sont venus confirmer nos appréhensions.
Depuis ce week-end, il est loisible de voir dressées sur certaines rues et à certains carrefours de Lomé des banderoles appelant les électeurs au boycott. « Sans les réformes, l’élection présidentielle en vue n’a aucun sens. Halte au gaspillage des ressources publiques du pays », tel est la quintessence du message sur ces banderoles visibles sur la nouvelle voie à Agbalepedogan. Et elles sont griffées Car. C’est évident que le message ne s’adresse pas seulement aux militants et sympathisants de ce parti, mais à tous les Togolais. Et selon les sources bien informées, ce n’est que le début de la seconde phase de la grande campagne de démobilisation des électeurs ouverte depuis un moment et consistant à distiller au sein de l’opinion que sans les réformes, l’élection est pliée d’avance. Cette autre étape verra les tenants de cette option – ils existent au-delà du Car, et y figurent aussi des leaders d’opinions – monter sur les ondes et décourager les électeurs de se rendre aux urnes le 15 avril prochain. Un véritable travail de sape dont les ficelles sont tirées dans l’ombre par le pouvoir.
Du sérieux de Dodji Apevon et compagnie
Pour Me Dodji Apevon et les siens, le scrutin à venir n’a pas de raison d’être sans les réformes prescrites par l’Accord politique global (Apg). Mais alors qu’est-ce que le Car fait pour qu’elles soient mises en œuvre ? La réponse à cette question permet d’appréhender le degré de sincérité des dirigeants de ce parti. Faut-il le relever, le Car s’est juste contenté des déclarations et des communiqués, se permettant même de tirer à boulet rouge sur ceux qui manifestent dans les rues pour obtenir ces réformes. Il est même permis de douter de la sincérité du parti quant à sa participation à l’élaboration de la proposition de loi commune à l’opposition parlementaire introduite le 19 novembre dernier, d’autant plus qu’il proposait justement d’offrir un 3e mandat à Faure Gnassingbé pour, dit-on, le persuader à mettre en œuvre les réformes.
L’organisation de l’élection à venir est conçue comme un gaspillage des fonds publics. Soit. Vu sous cet angle, le Car devrait se désolidariser du processus. Mais voilà, le parti de Dodji Apevon maintient ses représentants à la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) et dans les Commissions électorales locales indépendantes (Celi). Le Car est résolument une somme de contradictions. Alors qu’il n’a pas présenté de candidat au scrutin à venir, il nous revient que ses premiers responsables vont toujours quémander des fonds auprès du partenaire allemand du parti – nous en taisons le nom – pour cette même élection.
Une mission ficelée au profit du pouvoir, le piège du boycott
Au-delà du « parti des déshérités », il en existe d’autres dont les leaders épousent plus ou moins ouvertement le boycott et voient derrière la volonté d’y aller d’autres camarades comme Jean-Pierre Fabre, des intérêts cachés sur le dos du peuple togolais. Les partisans de cette option ne manquent pas d’argument pour la motiver. Mais leurs agitations répondent à une mission ficelée dans le sérail et à laquelle se prêtent bien des opposants. « Observez bien, vous verrez que ce sont des loosers de l’opposition qui se prêtent au jeu. Ils font d’une pierre deux coups : prendre leur revanche sur l’Anc qui leur fait de l’ombre et s’en mettre plein les poches. Certains ont pour tâche de dire que sans les réformes, il ne faut rien n’attendre de l’élection, et d’autres de surenchérir que le scrutin est d’ores et déjà plié au profit de Faure Gnassingbé. L’objectif final est de semer le doute dans les esprits et décourager les électeurs à se rendre aux urnes le moment venu », confie une source, qui relève qu’il s’agit d’« un piège » et que « le boycott n’est qu’une autre façon d’offrir un 3e mandat à Faure Gnassingbé ».
En effet, un éventuel boycott ne serait pas pour nuire au pouvoir. Ce sont les militants et sympathisants de l’opposition qui, croyant le scrutin vraiment plié d’avance, se retiendront de se rendre aux urnes. Ce seront ainsi des milliers de voix en moins pour l’opposition, notamment Jean-Pierre Fabre qui fait office de concurrent le plus sérieux de Faure Gnassingbé. Avec un boycott massif, les jeux seront naturellement faits aux dépens de l’opposition et le pouvoir n’aura pas à faire beaucoup d’effort pour pouvoir gagner. On peut alors aisément imaginer à qui profiterait un boycott.
Une plainte à venir pour coincer l’ANC ?
Faure Gnassingbé tire tout le monde du bout du nez et semble réussir son coup. Malgré les appels tous azimuts aux réformes et les avancées démocratiques sur le continent, la levée de boucliers contre les 3e mandats en Afrique, il est en train de passer entre les mailles du filet. Il se présente sous des airs de sérénité. Mais c’est un secret de Polichinelle pour les personnes avisées que le pouvoir traverse une certaine période de fébrilité et a recours aux méthodes déloyales pour s’en sortir. Et dans le cadre de l’élection à venir, tous les coups pour mettre en difficulté le candidat épouvantail du Prince sont permis.
Dans un premier temps, le régime a tenté d’exploiter l’affaire des incendies pour écarter le leader de l’Alliance nationale pour le changement (Anc). Mais les yeux du monde entier étant sur ce dossier, et pour éviter de susciter un tollé général, cette piste a été mise en jachère. Aujourd’hui, les indiscrétions évoquent une certaine plainte d’anciens collaborateurs du Collectif « Sauvons le Togo » qui viserait Jean-Pierre Fabre pour « escroquerie politique ». Le grief serait que l’Anc a accaparé la part léonine du bénéfice du travail collectif fait par le Cst lors des législatives du 25 juillet 2013 et est bien représentée à l’Assemblée nationale alors que d’autres partis de ce regroupement n’ont pas un seul député. Le champion connu d’un tel grief est le président de l’Organisation pour bâtir dans l’union un Togo solidaire (Obuts), Agbéyomé Kodjo. Et il est cité comme devant s’associer à cette plainte et d’instrumentaliser Abass Kaboua à cette fin. Ce dernier contacté entre-temps par notre Rédaction pour vérifier l’information a nié et dit ne plus rencontrer l’ancien Premier ministre. Mais comme par hasard, le président du Mouvement des républicains centristes (Mrc) a abordé le sujet vendredi dernier, au cours d’une émission sur la radio Nana Fm. Cette intervention n’est que l’avant-goût d’une autre conspiration contre l’ANC et l’alternance. De fait, il revient aux Togolais d’être vigilants.
Source : [09/03/2015] Tino Kossi, Liberté N°1899