Alternance vs Alternative : Les Eaux profondes du Changement politique au Togo.


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« La politique est la forme la plus haute de la charité, car elle cherche le bien commun » – Thomas d’Aquin

 
L’Alliance Nationale pour le Changement (ANC) a encore marché ce 4 août 2017 pour la mise en place des réformes constitutionnelles et institutionnelles. Et pourtant le train de la Commission Awa Nana continue sa marche entre récifs et brisants à travers le pays.
Les leaders de l’opposition togolaise Jean-Pierre Fabre (ANC,g), Dodji Apévon (FDR,c,h,g), Aimé Gogué (ADDI,c,h,d), Brigitte Kafui Adjamagbo-Johnson (CDPA, c,b,g), Tikpi Atchadam (PNP, c,b,d) et le président togolais Faure Gnassingbé
 
Les dénonciations et l’évidence du pillage d’une nation sont légions au Togo. Malgré tout la gabegie et la prévarication vont toujours bon train. Le meurtre, la torture, les brimades et l’intimidation sont érigés en modes ordinaires de gouvernement. Il n’empêche. Le premier responsable est reçu et honoré dans toutes les chancelleries du monde et porté à la tête de l’organisation commune ouest-africaine. L’opposition fait ce qu’elle peut. Le constat est pourtant accablant : elle n’a jamais été aussi inefficace. Le peuple togolais exsangue n’en peut plus mais. Il reste malgré tout inerte et pour certains, apathique. Paradoxes ?
 
Comment expliquer ces causalités contraires ? Quels sont les éléments qui sous-tendent l’échec répété de 50 ans de lutte contre l’une des dictatures les plus féroces de la planète ? Peut-on encore parler de résilience d’un peuple ? La faute aux capacités manœuvrières du pouvoir en place ? L’oppression est-elle si forte qu’aucune action du peuple ne peut l’ébranler ?
 
Je pense pour ma part que les raisons d’un si cruel échec sont ailleurs. Elles se situent plus précisément dans l’incapacité de la classe politique à articuler de façon audible le seul discours capable de mettre le Togo en branle. Incompétence de la classe politique dans son ensemble ? Certes non. Le pouvoir en place excelle dans son art lugubre de pillage et de mise en coupe réglée du pays. Il s’agit bien d’une forme de compétence. Reste une bonne part de l’opposition qui a toutes les peines du monde à se mettre à la hauteur de l’enjeu.
 
Que constatons-nous au Togo ? Un verrouillage systématique des institutions qui sont censées le gouverner au profit exclusif d’une classe arrogante et pilleuse soutenue par une armée fortement tribalisée, gardienne féroce et impitoyable de la pérennité du régime.
 
Face à ce pouvoir autiste et violent se dresse en rang dispersé une opposition velléitaire, prompte à vaciller, à se saborder, incapable d’asseoir une crédibilité pérenne aussi bien vis-à-vis du peuple que du pouvoir qui la prend pour quantité négligeable tant il lui est aisé de la diviser et de la circonvenir.
 
Ainsi va le Togo, qui voit ses enfants sacrifiés, sa santé dégradée, sa survie précarisée, ses perspectives assombries et sa classe moyenne laminée. Spectateur de la valse délétère et endiablée entre le pouvoir et l’opposition, désormais enlacés dans l’imaginaire populaire. Le « tous pourris » gagne du terrain et les opposants ou ce qu’il en reste n’apparaissent plus que comme de simples « Podosants » habiles à travailler pour aboutir à la mangeoire où se dispute dans un désordre organisé la dépouille de la nation.
 
La double recherche d’une legitimite perdue
 
Pour le pire, le pouvoir en place a entrepris, en rupture avec tous les engagements politiques pris, d’imposer unilatéralement un processus de réflexion devant aboutir à une réforme au forceps dans le seul but de se perpétuer en consolidant le maintien de son chef.
 
Le saucissonnage de la réforme, les manœuvres dilatoires, la mise en place de commissions plus décriées et illégitimes les unes que les autres, accompagnée d’une tournée controversée en cours auprès des populations participent de cette tentative de fuite en avant.
 
Les soubresauts et les revers infligés par les populations à cette commission de réflexion disent bien le ras-le-bol de la nation. Mais ce rejet profond du régime remontera-t-il jamais à la surface ? Sera-t-il jamais pris en compte ? Comptera-t-il pour aspirations profondes de ce peuple martyr ? Le doute est permis. Le but de la manœuvre n’est point de prendre en compte les aspirations du peuple mais bien de créer l’apparence d’une consultation démocratique en vue de tripatouillages annoncés et d’ores et déjà assumés. Les réformes ? Oui. Mais dans la continuité du pouvoir en place.
 
L’opposition de son côté multiplie les tournées à l’intérieur du pays. ANC en tête, elle tente vainement d’inoculer à la base le germe de la révolte populaire. Cette inflation concurrentielle de tournées ne clarifie en rien l’opacité de la conduite de la nation. Le peuple se terre dans un attentisme résigné.
 
Lui parle-t-on seulement au cœur ? A-t-on véritablement perçu son grondement souterrain ? Ses aspirations profondes ? Le Togo si profondément meurtri ne veut pas se contenter d’une simple alternance qui reconduirait un schéma délétère qu’il faudrait combattre à nouveau à plus ou moins brève échéance. Il voit bien une certaine opposition accompagnatrice et opportuniste ne proposer comme base programmatique que :« le pousses-toi de là que je m’y mette » et perçoit très clairement la sommation messianique du : « donnes-moi le pouvoir et tu verras le changement ». Le peuple togolais dans sa grande sagesse refuse de céder à une telle injonction. « Voyons d’abord et, au besoin je vous donnerai le pouvoir » semble-t-il dire. Et il a bien raison. Le Togo veut plus. La nation mérite mieux. Les togolais aspirent profondément à une véritable alternative politique.
 
L’opposition togolaise, à l’exception notable du Parti National Panafricain (PNP) de Tikpi Atchadam, s’est emberlificoté dans le mantra des réformes minimales (limitation du mandat présidentiel à deux et élection présidentielle à deux tours) censées ramener l’alternance au pouvoir et favoriser l’accession à la magistrature suprême du leader dominant de l’opposition.
 
Ce schéma est de courte vue. Il impose dans l’esprit de la population le simple constat que ceux qui le portent n’ont en réalité que l’ambition de remplacer, dans les mêmes habits tant décriés, les gouvernants en place. Ce n’est pas satisfaisant.
Le faible écho des appels au peuple, illustré par le fiasco de la récente marche du 4 août 2017, exprime à suffisance la prudente défiance du peuple. Il convient pour l’opposition de changer de logiciel et de discours.
 
Pour une Assemblée constituante
 
Il faut aller désormais en eaux profondes et articuler au-delà de l’alternance le discours d’une vraie alternative ; non des ravalements de surface mais une refondation de la nation togolaise ; non des commissions et des ateliers de réflexion mais la convocation d’une assemblée constituante.
 
Le peuple est si en avance sur ses élites que ses aspirations profondes semblent les frapper de sidération. Et pourtant c’est seulement à ce niveau que le fil du dialogue entre le peuple et ses représentants doit se renouer. Il s’agit d’aller au-delà des apparences et des postures, dans les profondeurs de la réflexion politique.
 
La question implicite adressée aux acteurs politiques est simple : Quel est le programme ? Que proposez-vous à part le départ du pouvoir en place ? Quels sont les projets chiffrés de gouvernement ? Quel type de société voulez- vous construire ? À quelle fin ? Avec quels moyens et partenaires ? Avec quel monitoring et sous quels contrôles ? Tout homme politique sérieux devrait pouvoir répondre à ces questions de crédibilité minimale.
 
Aller en eaux profondes, c’est aussi questionner la démocratie dans son essence même au regard des traditions et des institutions africaines. Revisiter nos processus traditionnels d’accession, de maintien et de changement de pouvoir et de son chef. C’est sortir des sentiers battus et des emprunts mal compris, inadaptés à nos réalités et donc d’efficacité sous-optimale qui ne font qu’approfondir notre dépendance et notre vulnérabilité. C’est proposer des nouveaux schémas du vivre ensemble et de règlement des litiges au profit de toute la nation. C’est asseoir une gestion publique et une gouvernance dignes d’un pays moderne
 
Voilà ce que la nation attend de ses représentants. Le prix de la paix sociale et du développement passe par le courage qui conduit une opposition responsable à ne plus laisser l’instrumentalisation des traditions à ceux qui, pour le pire, ont institué une cérémonie honteuse de purification qui confine à une odieuse mascarade tendant à effacer la responsabilité des bourreaux tout en niant le droit légitime des victimes.
 
Encore une fois, ce pouvoir dictatorial fait « son job » et…il le fait bien. C’est l’opposition togolaise qui ne « sent » pas son peuple et qui, dans une léthargie coupable, déserte les seuls espaces où elle devrait être. Espaces en déshérence que le pouvoir occupe pour l’oppression et la manipulation des esprits.
 
L’amateurisme ne peut pas prospérer et le manque de vision stratégique s’ériger en moyen d’action politique. Le peuple togolais a bien raison de mettre la barre au niveau idoine où se jouent son bonheur et sa prospérité. Il pose en filigrane la question de la légitimité de sa classe politique et ne tarde jamais à déceler l’usurpation et l’incompétence.
 
L’urgence à court terme
 
La claire compréhension des aspirations du peuple passe par la demande immédiate de mise en commun des moissons des tournées respectives des deux parties protagonistes. L’opposition doit porter cette idée et proposer la tenue d’une assise consensuelle avec des prérogatives d’une véritable assemblée constituante. Elle aura l’avantage de paraître moins réactionnaire, constamment à la remorque des initiatives du pouvoir en place. L’ambition ainsi construite serait d’une part le comblement du no man’s land institutionnel qui s’approfondit entre le peuple et ses gouvernants et, d’autre part, limiterait en la corrigeant la lecture unilatérale et biaisée de la commission Nana en mettant en exergue les propres avis recueillis par l’opposition.
 
A l’autisme du pouvoir en place, il faut opposer la claire vision des intérêts de la nation. A l’obscurité manœuvrière d’une commission nommée, opposer la lumière d’une élaboration par le peuple lui-même des bases de son avenir en tant de nation. A l’émiettement des réformes, opposer une approche holistique et consensuelle des enjeux. Aux commissions de réflexion, opposer une véritable constituante. A la dictature, opposer courageusement les structures d’une nation rénovée et construite sur des socles authentiquement traditionnels. Au droit de la force, opposer résolument la force du droit et de la raison.
 
Le peuple attend de ses représentants la réaffirmation d’un consensus national en reprenant les bases d’une véritable consultation électorale (toilettage de listes électorales, transparence du vote, refondation d’une commission électorale véritablement indépendante, équité dans le financement des campagnes et des candidats…). Il s’agit de (re)fonder la démocratie togolaise et de porter en définitive à sa bonne fin la Conférence Nationale Souveraine du début des années 90. Processus avorté qui ne demande qu’à toucher enfin sa cible.
 
(Re) fondation. (Re)mise à plat. Constituante. Souveraineté. Alternative…et, dans une certaine mesure, retour à la constitution de 1992, doivent être aujourd’hui les éléments de langage de l’opposition togolaise à qui, subrepticement, le pouvoir et ses thuriféraires ont imposé le discours de la réforme, de l’alternance, de la gouvernance, de la limitation du mandat présidentiel, des réflexions par comités et commissions…
 
Le piège est bien ficelé. Celui qui impose les thèmes du débat a une longueur d’avance sur ses concurrents. Les mots ont une charge symbolique opérationnelle forte et deviennent structurants en commandant le sens de l’action subséquente. Les premiers termes renvoient à l’action du peuple souverain tandis que les seconds dépendent intimement des initiatives du pouvoir exécutif qui s’octroie ainsi une marge de manœuvre et de manipulation importante.
 
La compétence politique suppose aussi une attentive vigilance. Le niveau constitutionnel est bien le niveau pertinent. Et le PNP a bien raison de porter le fer sur la nécessité d’un retour à la constitution de 92 et le vote de la diaspora. Ne nous y trompons pas : c’est bien à ce niveau que se joue l’avenir de la nation. La commission Awa Nana est bien une assemblée constituante qui ne dit pas son nom. S’enferrer sur les réformes institutionnelles, légitimes certes, mais minimales, c’est se contenter des démembrements d’un projet constitutionnel plus vaste.
 
Enfin, il faut imposer la nécessité d’une phase politique de constitution d’un gouvernement de large union nationale ayant pour mission de :
 

    Porter un projet de loi constitutionnelle : (axes de réflexion, nombre et nature des commissions, nombre et qualité des membres, modalités de fonctionnement etc)
    Coordonnateur tripartite : pouvoir-opposition- société civile
    Désignation et de convocation des membres de l’assemblée constituante
     
    Et en phase opérationnelle d’organiser la :
     
    Mise place des institutions
    Mise en place des organes décisionnels
    Collation des conclusions et recommandations
    Organisation de référendum constitutionnel
    Organisation des élections présidentielle, législative, locale, professionnelle dans les assemblées paritaires
    Proposition des candidats à la nomination par le chef d’État élu en conseil d’État.

 
 
L’enjeu de l’avènement d’une véritable nation togolaise, soucieuse de l’intérêt, de la dignité et du bonheur de ses fils, se situe réellement à ce niveau. Le parti national Panafricain (PNP), à travers la fulgurance des intuitions de son chef, semble l’avoir identifié quoique encore indistinctement. Le pouvoir en place le sait et redoute toute initiative tendant à occuper le seul champ politique pertinent susceptible de rencontrer l’adhésion du peuple. La bonne preuve en est le changement d’adversaire opéré par le pouvoir qui identifie clairement désormais le PNP comme le principal opposant à sa marche délétère de destruction du peuple togolais. UNIR n’a-t-il pas décidé d’organiser une contre-offensive à la marche programmée par le PNP le 19 courant ? Avant sa probable rétractation. C’est un signe. Le signe que le niveau de pertinence du discours du PNP fait mouche
 
Il convient pour les leaders sincères d’une opposition togolaise responsable de s’engouffrer et d’élargir la brèche où se joue réellement le destin du Togo.
 
Jean-Baptiste K.
 

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