Chronique de Kodjo Epou : Point à la ligne.


Kodjo Epou
Kodjo Epou


Il arrive un moment dans la vie où le retrait s’impose, la nécessité de passer à autre chose devient une évidence. Ce moment est arrivé et cette chronique en est, en quelque sorte, l’annonce d’une parenthèse qui se ferme et d’une autre qui s’ouvre. Sur un autre chantier. Chronique de Kodjo Epou prend fin. L’encre est finie. L’exaltant exercice, par l’écrit, d’éveil des consciences s’achève. Néanmoins, la page ne va pas se refermer sans dresser, à main levée, un bilan sommaire sur l’état d’un pays dont nous sentons faire partie.
 
La grande majorité des Togolais pensent que le Togo est devenu “l’enfant malade” de la Sous-région ouest-africaine. Le pays, non seulement est à la peine, il a totalement périclité. Ceux qui le dirigent depuis maintenant cinquante ans, bien que responsables de la dégringolade, ne sont pas les seuls auteurs de cet état désespérant. Nous sommes un peuple qui a souffert. Longtemps. Profondément. Nos âmes ont été atteintes. Nous avons été pendant des années le punching ball de chair, de sang et d’émotions, des autres douleurs, de beaucoup d’autres. En quelque sorte, nous nous sommes livrés en espèces faibles à un clan, telle une peuplade d’Iphigénie de troisième zone uniquement bonne au sacrifice. Nous ne sommes pas innocents, nous Togolais, de notre situation. Pas exempts de critiques, de remise en question, de reddition de comptes, toutes proportions gardées naturellement. Il est vrai qu’aujourd’hui, le climat de terreur se décrispe, les assassinats politiques se raréfient, de moins en moins de sang coule. Néanmoins le Togo est loin, très loin, d’être gouverné par des règles démocratiques.
 
Ce n’était pourtant pas les occasions de nous affranchir des fers de la dictature qui manquaient. Nous avions laissé faire : la constitution serpillère, l’État de droit sapé jusque dans ses murs porteurs, les libertés publiques violées avec d’immenses éclats de rire, les FAT et leurs doigts d’honneur au reste de la nation, l’action législative réduite à son minimum syndical, l’exécutif ivre de ses syndromes de crime économique, de gabegie et d’incompétence. Nous avons contemplé. Le plus souvent en implorant le ciel de nous venir au secours. Nous n’avons pas d’électricité ? Ce n’est pas grave : on préfère s’habituer à l’obscurité sur laquelle règnent des bandits de grand chemin qui décapitent juste pour avoir du pain. Pas d’eau ? Pas grave : nous quémandons l’eau chez le voisin qui possède chez lui une citerne. Une infrastructure routière néandertalienne de marque chinoise ? Pas grave : il faut mourir de quelque chose, l’accident de la route étant pour certains le chemin le plus court. Des normes d’hygiène rudimentaires avec les abords de nos maisons pris d’assaut par des tas géants d’immondices? Pas grave: on va a l’hôpital pour mourir, le “Vitago” se substitue aux soins modernes que les officiels ont pourtant le devoir de rendre accessibles à tous. Des factures d’internet et de téléphonie mobile parmi les plus chères contre les services les plus défectueux de la planète ? Pas grave : on se débrouille pour communiquer en fermant nos gueules, presque en disant « merci beaucoup » à Togotélécom et consorts.
 
Mais nous avons oublié, totalement, quatre choses principales. Que pour changer une donne, il faut de la (pré)vision, de la méthode, du sérieux, de la constance dans une action concertée. La révolution est une science, ou tend à la devenir. Pas un hobby, moins encore un discours. On n’y arrive pas en créant par fantaisie et mouvement d’humeur les partis politiques. Plus d’une centaine pour un si petit pays. Totalement ridicule ! Des partis dont la plupart des chefs ne représentent rien sinon qu’eux-mêmes et qui ne méritent que d’être voués à l’exécration et au mépris publics.
 
Notre opposition, depuis le début jusqu’à ce jour, s’est laissée gangrener par des attitudes véreuses et veules. Elle a été beaucoup plus construite sur des paroles creuses, de promesses vaines. C’est l’échec ! Les causes ? J.- P. Fabre, l’actuel chef de file ( ?) pointe le DESORDRE. Mais oublie (à dessein ?) le facteur principal: le « Moi ou rien » et son corollaire qu’est l’ARGENT. Les Togolais ont, aujourd’hui encore, ce sentiment bilieux d’avoir été royalement floués, persuadés d’être des citoyens phagocytés, pris en étau entre leurs propres représentants et une république qu’ils savent serpillière, vampire, homicide et liberticide. Une république dans laquelle les solutions annoncées sont contrefaites, tripatouillés, antidatées bref, des solutions plus graves que les problèmes.
 
Il y a quelque chose de troublant, de très joliment troublant, lorsque malgré la banqueroute, on voit et entend certains compatriotes, soulés par on ne sait quels intérêts, hurler publiquement que les tendances sont bonnes. Alors même que leurs champions, des exhibitionnistes qui sont aux réformes ce que Kim Kardashian est à la tragédie shakespearienne, fossoient allègrement tous les principes moraux de notre société. Ce qui est surtout troublant, c’est le silence on ne peut plus cynique des intellectuels togolais. Ils se disent neutres, se passent pour des ni-ni mais, dans l’ombre, font les avocats du système contre pitances bourratives et biens périssables. La somme de tout cela, malheureusement, ne dénie pas de fondements à l’idée courante selon laquelle les Togolais méritent leurs dirigeants.
 
La chronique de Kodjo Epou a tenté de s’attaquer à toutes ces nuisances de la cité et s’est voulu une tribune à la fois de l’espérance et du doute, de questionnement, de grandes colères et de rêves fous. Le ton, délibérément cinglant et provoquant mais constamment proche du réel, a permis à une plume pointue de rester en contact direct avec le lectorat, d’en saisir le pouls et les attentes et de lui transmettre, bien souvent, les interrogations qui tenaillaient les bonnes consciences. L’encre est finie. Une page se ferme donc. Ici. Une autre s’ouvre, celle de la sérénité et du retour à soi. Merci chers lecteurs de votre accompagnement et de votre fidélité, de vos critiques justes comme injustes et bonne chance à une nouvelle génération de combattants, celle de la relève qui permettra à la grande aventure entamée sur des chapeaux de roue en 1990 de se poursuivre avec encore plus d’engagement, plus d’efficacité et de dynamisme. C’est le temps du repli. Loin des turbulences d’une actualité togolaise restée angoissante, d’un miracle togolais chaque fois repoussé, celui de l’avènement d’une démocratie véritable qui synchronise le Togo avec ses voisins.
 
« On est fatigué, on n’éprouve plus de plaisir, on est triste », s’entend-on dire. C’est la déprime totale, conséquence de vingt-cinq années de stupides errements, de grandes et petites guerres de chefs, de désordres insoupçonnables, de préoccupations égoïstes inavouées trop souvent ennemies. Le camp d’en face est coriace. Il a toujours su surprendre. Il a toujours pu obtenir ce qui arrange ses intérêts. Sans coup férir. En face, une opposition faible, déstructurée, corruptible, qui peut dire une chose et son contraire entre le lever et le coucher du soleil. Sauf coup de théâtre salvateur, le présent ne semble pas annoncer que demain sera la veille. Le temps est arrivé de prendre conscience des conséquences de nos tares et en tirer les conclusions qui s’imposent.
 
Kodjo Epou
Washington DC
USA
09/01/2016
 

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