Elections non consensuelles, chasse aux opposants, silence de la communauté internationale…
Quel Togo dans les mois et années à venir ? Super radieux, prospère et où il fera bon vivre ? Conflictuel ? Ce n’est pas rédhibitoire de se poser cette question. L’exercice se révèle d’ailleurs un impératif pour tout Togolais. Difficile de présager avec exactitude ce que sera le Togo durant les mois et années à venir. Mais une chose est certaine, la situation sociopolitique n’annonce pas un beau temps pour notre pays.
Vers un scrutin non consensuel
Les élections au Togo, l’Accord politique global (Apg) les veut consensuelles et inclusives. En clair, leurs préparation et organisation doivent être assurées, non par le pouvoir tout seul, mais par toute la classe politique, et elles doivent être ouvertes à tout le monde. Mais le processus électoral en cours qui devra aboutir au scrutin législatif le 24 mars prochain est tout sauf consensuel. Il est le fruit de la volonté du pouvoir tout seul, aidé quelques fois par son alliée l’Union des forces de changement (Ufc). Les cris d’alarme de l’opposition tombent dans les oreilles de sourd. Les règles du jeu taillées sur mesure ont été adoptées malgré la contestation générale. On citera sans doute le découpage électoral qui reste aussi inique qu’en 2007.
Si les différentes tentatives de dialogues ont toutes fait flop, les propositions pertinentes formulées par l’opposition regroupée au sein du Collectif « Sauvons le Togo » et de la Coalition « Arc-en-ciel » n’ont pas été pris en compte. La Commission électorale nationale indépendante (Céni) n’est composée à 99 % que des obligés de Faure Gnassingbé. Pas un seul membre de l’opposition véritable au Prince de la République.
La date retenue pour le scrutin, le 24 mars, n’est que le fruit des desiderata du plus « Faure ». Ce n’est pas l’idéal, mais le processus est presqu’irréversible, lorsqu’on considère l’état d’esprit du pouvoir en place. Malgré les appels tous azimuts à rectifier le tir, Faure Gnassingbé reste insensible et donne le feu vert à la Céni pour continuer le processus ; et Angèle Aguiguah et les siens exécutent l’ordre à merveille. Les derniers préparatifs ont commencé depuis vendredi, avec la formation des agents électoraux à l’utilisation des kits. Rien manifestement ne semble arrêter le pouvoir dans son élan. Et ce serait presqu’un miracle que le scrutin de Faure Gnassingbé (sic) n’ait pas lieu le 24 mars prochain. Dans les conditions actuelles ! Et ce miracle, Zeus Ajavon, le Coordonateur du CST y croit fermement : « s’ils veulent organiser des élections, ils n’ont qu’à essayer, c’est bonjour les dégâts, c’est tout », prévient-il.
L’opposition (presque) écartée
Une élection dans une démocratie sans la participation de l’opposition, cela sonnerait comme une boutade. Mais c’est ce à quoi on risque d’assister en fin mars prochain. Faure Gnassingbé tentait jusqu’à présent, par les coups de force répétitifs depuis l’ouverture de la phase de la préparation du processus électoral, de jouer sur les nerfs de ses opposants et les pousser au boycott du scrutin. Un plan qui a échoué, car ces derniers ont compris la manœuvre et réaffirmé leur engagement à y participer. Ce qui oblige le Prince de la République à rechercher d’autres stratégies, ce qu’il semble trouver avec l’alibi des incendies.
C’est une croisade qui est organisée contre les partis majeurs de l’opposition et leurs leaders membres du Cst qui troublent le sommeil de Faure Gnassingbé. Gérard Adja et Agbéyomé Kodjo de l’Organisation pour bâtir dans l’union un Togo solidaire (Obuts), Jean Eklou, Ouro-Akpo Tchagnaou et autres de l’Alliance nationale pour le changement (Anc), Alphonse Kpogo de l’Alliance des démocrates pour le développement intégral (Addi) sont appréhendés et gardés à vue depuis plusieurs semaines. Ils sont accusés d’être les commanditaires des incendies qui ont ravagé les deux grands marchés du Togo. Et sur la base des déclarations de jeunes gens instrumentalisés et des arguments à réveiller un mort. Le corps du délit n’est constitué que de tessons de bouteille, de fils, d’un bidon, et aussi d’une préparation mystique. La liste n’est pas exhaustive, puisque les autres leaders et proches du Cst sont aussi dans le viseur, et il n’est pas exclu que le pouvoir mette aussi la main sur certains encore dans les heures et jours à venir. Pour nombre d’observateurs, le régime tourne simplement autour de son principal cauchemar, Jean-Pierre Fabre, et tout ce cirque n’est que précurseur de son arrestation qui ne saurait tarder. Anc et Obuts, ce sont deux partis phares du Cst, et l’arrestation de leurs leaders aura l’effet de les empêcher de mener leurs activités politiques, et dans le cadre du prochain scrutin, d’effectuer la campagne électorale, et ainsi compromettre sérieusement leur participation. Et cette envie, le Prince de la République n’en fait plus mystère.
Le silence et la caution de la communauté internationale
Personne n’est dupe, c’est 2015 qui se joue derrière toutes ces manœuvres du régime Faure Gnassingbé. Déjà les résultats des législatives s’annoncent biaisés, au regard des conditions dans lesquelles elles seront organisées. Et avec l’éventualité d’une non participation de l’opposition, les conséquences seront sans doute dramatiques. Faure Gnassingbé s’octroierait le nombre de sièges nécessaire pour avoir la majorité qualifiée pour légitimer sa candidature en 2015. Et après les 38 ans du père, ce serait parti pour un autre règne avec le fils.
Ce danger qui s’annonce, tout le monde en est conscient. Sans doute la communauté internationale aussi. Aujourd’hui l’opposition qui constitue dans une démocratie un lobby pour le pouvoir, est anéantie. La seule force de pression qui reste n’est que la communauté internationale. Ses représentants au Togo sont témoins du processus et bien conscients de la situation. Les ambassadeurs européens avaient conditionné l’accompagnement de Bruxelles au processus par l’exécution des réformes de l’Apg et des recommandations pertinentes des missions d’observation électorale de 2007 et 2010, et ils l’avaient signifié en avril 2012 aux représentants du gouvernement lors d’une session des rencontres périodiques inscrites dans l’accord Acp-UE. Mais le gouvernement n’a que faire de leurs injonctions, n’ont guère été écoutées, et par-dessus tout, le pouvoir conduit le processus en solitaire. Les conditions actuelles d’organisation annoncent d’ores et déjà des résultats biaisés, et on assiste à des manœuvres pour fragiliser l’opposition et l’empêcher de prendre part idéalement au processus. Au regard de l’enjeu caché derrière, la voix de l’opposition étant étouffée, seule la communauté internationale a encore les moyens de ramener le pouvoir Faure Gnassingbé à la raison. Mais c’est le black-out total du côté des représentants du monde « civilisé » dans notre pays. Rien n’est fait pour faire arrêter le processus tel que conduit. Il est même donné à Faure Gnassingbé un blanc seing pour organiser le scrutin. Bien plus, les représentants du monde dit civilisé semblent encourager les dérives du pouvoir de Lomé. On n’en voudrait pour preuve que la sortie le 19 décembre dernier de Patrick Spirlet, qui a parlé d’avancées du Togo en matière de respect des droits de l’Homme, malgré toutes les violations dont s’est rendu coupable le pouvoir au cours de l’année 2012. Ces diplomates ferment aussi les yeux sur la tragicomédie qui se joue actuellement avec cette affaire d’incendies et dont l’objectif manifeste est d’entraver la participation de l’opposition au prochain scrutin.
Quel Togo peut-on imaginer au lendemain des prochaines législatives, avec un pouvoir prompt aux violations des droits des citoyens et même les plus élémentaires, à la répression contre ses contestataires, opaque aux cris de l’opposition et ayant acheté le silence des représentants de la communauté internationale ? Une chose est certaine, le pays sera tout sauf gai.
Tino Kossi
liberte-togo