Mesdames et Messieurs,
L’homme qui va descendre dans la tombe bientôt est mon ami. Il n’est pas mon ami. Il est mon frère. Et il s’appelle Chris DACKEY. Affectueusement, on s’appelle : Kanlèa. Je parle au présent parce qu’il n’est pas parti.
Dans les temps où nous sommes, toutes les fictions sont évanouies. Les regards se fixent désormais non sur les têtes qui règnent, mais sur les têtes qui pensent, et le monde du football togolais tout entier tressaille lorsqu’une de ces têtes disparaît. Aujourd’hui, le deuil populaire, c’est la mort de l’homme de talent; le deuil national, c’est la mort de l’homme de génie.
Messieurs, le nom de Chris DACKEY se mêlera à la trace lumineuse que notre époque laissera dans l’avenir.
Chris DACKEY fait partie de cette puissante génération de managers qui est en train de révolutionner le football togolais. Il est un des premiers parmi les plus grands, un des plus hauts parmi les meilleurs. Ce n’est pas le lieu de dire ici tout ce qu’est cette splendide et souveraine intelligence.
Toutes ses actions ne forment qu’une action, action vivante, lumineuse, profonde.
A son insu, que Chris le veuille ou non, qu’il y consente ou non, il est l’auteur du renouveau qui se modelait dans le football togolais. Chris a une particularité : il va toujours droit au but. Il saisit corps à corps les problèmes et les terrasse à la première empoignade. Il arrache à tous, quelque chose, aux uns l’illusion, aux autres l’espérance, à ceux-ci un cri, à ceux-là un masque. Il fouille le vice, il dissèque la passion. Il creuse et sonde l’homme, l’âme, le cœur, les entrailles, le cerveau, l’abîme que chacun a en soi.
C’est cette nature qui a déteint sur nos éperviers dames, cette exigence de sa part, cette folie sordide de vaincre qui lui a valu la qualification de ses filles allées cueillir l’ultime
victoire pour la lui apporter l’ultime jour.
Voilà ce qu’il a fait parmi nous. Il venait à peine de commencer et voilà l’œuvre qu’il nous laisse, œuvre haute et solide, robuste entassement d’assises de granit, monument ! Œuvre du haut de laquelle resplendira désormais sa renommée. Les grands hommes font leur propre piédestal ; l’avenir se charge de la statue.
Sa mort a frappé le monde de stupeur.
Le soir du 22 février, Chris m’a appelé alors que j’étais en voyage. Je ne savais pas, qu’il me disait un au revoir. Comme à la veille d’un grand voyage on vient embrasser sa mère !
La vie de Chris a été courte, mais pleine ; plus remplie d’œuvres que de jours !
Hélas ! Ce travailleur puissant et jamais fatigué, ce génie, a vécu parmi nous de cette vie d’orages, de luttes, de querelles, de combats, commune dans tous les temps à tous les grands hommes. Aujourd’hui, le voici en paix. Il sort des contestations et des haines ; il entre, le même jour, dans la gloire et dans le tombeau. Il va briller désormais au-dessus de toutes ces nuées qui sont sur nos têtes, parmi les étoiles !
Vous tous qui êtes ici, est-ce que vous n’êtes pas tentés de l’envier ?
Mesdames et Messieurs, quelle que soit notre douleur en présence d’une telle perte, résignons-nous à ces catastrophes. Acceptons-les dans ce qu’elles ont de poignant et de sévère. Il est bon peut-être, il est nécessaire peut-être, que dans une époque comme la nôtre, que de temps en temps une grande mort communique aux esprits dévorés de doute et de scepticisme un ébranlement religieux. La Providence sait ce qu’elle fait lorsqu’elle met ainsi la famille face à face avec le mystère suprême, et quand elle lui donne à méditer la mort qui est la grande égalité et qui est aussi la grande liberté.
La Providence sait ce qu’elle fait, car c’est là le plus haut de tous les enseignements. Il ne peut y avoir d’austères et sérieuses pensées dans tous les cœurs quand un sublime esprit fait majestueusement son entrée dans l’autre vie ! Quand un de ces êtres qui ont plané longtemps au-dessus de la foule avec les ailes visibles du génie, déployant tout à coup les autres ailes qu’on ne voit pas s’enfonce brusquement dans l’inconnu.
Non, ce n’est pas l’inconnu ! Non ce n’est pas la nuit, c’est la lumière ! Ce n’est pas la fin, c’est le commencement ! Ce n’est pas le néant, c’est l’éternité ! N’est-il pas vrai, vous tous qui m’écoutez ? De pareils cercueils démontrent l’immortalité ; en présence de certains morts illustres, on sent plus distinctement les destinées divines de cette intelligence qui traverse la terre pour souffrir et pour se purifier et qu’on appelle l’homme, et l’on se dit qu’il est impossible que ceux qui ont été des génies pendant leur vie ne soient pas des âmes après leur mort ! »
Kanlèa, tu vas me manquer. À bientôt