Tout Kabyè qui se rendra coupable d’une critique fondée ou non à l’égard de Faure Gnassingbé ou de son pouvoir, sera puni avec la dernière rigueur.
C’est en somme la conclusion à laquelle l’on parvient quand on regarde de près l’acharnement qui est permanemment exercé contre tous les kabyè qui s’opposent aux méthodes de gouvernance du pouvoir actuel.
La preuve en est encore donnée jeudi lors de la comparution du commandant Olivier Amah Poko devant la chambre d’accusation de la cour d’appel de Lomé.
Malgré les brillants plaidoyers des six avocats défendant la cause fondée de l’ancien officier, la chambre d’accusation n’a pas trouvé mieux que de rejeter la demande de mise en liberté formulée par ces conseils au motif que les conditions ne sont pas encore réunies pour sa libération.
Un tel verdict rappelle étrangement ceux qui se rendaient sous le régime nazi en Allemagne contre les juifs.
« Entendu qu’au-delà de l’infraction commise, l’intéressé étant un juif, cela constitue une circonstance aggravante ; en conséquence il sera puni du triple de la peine encourue », pouvait-on lire dans les arrêts rendus par les tribunaux sous Adolph Hitler.
Transposé au Togo, on voit clairement les motivations profondes de ceux qui s’acharnent contre Olivier Amah Poko, Abass Kaboua et autres.
Tout le monde sait que sur le plan du droit, le dossier du commandant Olivier Amah est vide, l’infraction n’existe pas. C’est établi.
Mais le fait qu’il soit kabyè et qu’il ait osé critiquer la méthode de fonctionnement de ses frères Kabyè au pouvoir est un péché, une circonstance aggravante qui complique tout et qui alourdit sérieusement son dossier.
Il est tellement lourd qu’aucun magistrat, si lucide et puissant soit-il ne pourrait le sortir d’affaire en marge des consignes du Haut.
C’est cela la justice togolaise dans son état actuel surtout que la plupart des magistrats siégeant dans cette chambre d’accusation sont eux-aussi Kabyè.
Faut-il rappeler aux lecteurs qu’il est reproché à l’ancien patron des services de renseignement et d’investigation ses propos tendant à demander à l’armée d’interpeller le Chef de l’Etat sur la situation chaotique que vit le Togo. Exactement comme cela avait été fait en 1966 par le père de l’actuel chef de l’Etat.
Le prétexte est donc tout trouvé pour contraindre le jeune commandant au silence à travers les verrous, lui qui avait déjà passé arbitrairement deux années en prison dans l’affaire Kpatcha Gnassingbé avant d’être relâché à la suite du procès de 2011. Il n’a d’ailleurs pas encore été dédommagé jusqu’à présent.
Jusqu’où ce pouvoir ira-t-il avec cet arbitraire érigé en style de gouvernance dans le pays ? Personne ne saura vraiment le dire. Mais il y a une évidence à laquelle aucune créature ne peut échapper, c’est que la nature parle et régule tout.
Elle régule tellement bien que rien ne peut vraiment lui résister sur cette terre. Que ceux qui ont des oreilles entendent la voix de Dieu et arrêtent leurs actes malsains et immoraux vis-à-vis d’honnêtes citoyens avant que la nature ne se résolve à agir contre eux.
Renforcer les pouvoirs de la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (Haac), tel est le nouveau chantier du pouvoir en place. L’« Esprit nouveau » qui aurait passé le clair de son temps à étudier dans les écoles occidentales et ainsi vécu les bienfaits de la liberté de presse et d’expression, est en train de mettre du ciseau dans les acquis concédés par son père pourtant de la old school. Ce n’est qu’une question de temps, le texte devra passer comme une lettre à la poste, au regard de la majorité mécanique dont dispose le pouvoir à l’Assemblée nationale. Les premières cibles de cette initiative, ce sont sans doute les organes qui refusent de cirer les pompes au Prince de la République. Mais au-delà, c’est la la liberté d’expression consacrée par la Constitution qui est menacée, et le Togo risque d’être ramené à 25 ans en arrière.
Les organes critiques en ligne de mire
« Il s’agit de permettre à la HAAC de pouvoir prendre ses responsabilités à tout moment en cas de dérapage. A quoi bon avoir une institution qui ne peut pas agir ? Il n’y a pas question de musellement de la presse…», se défendait dimanche sur une radio de la place l’ancien pensionnaire de la Fondation Konrad Adenauer. Il parle donc de simple réforme visant à donner les pouvoirs nécessaires à Kokou Tozoun et les siens pour assainir le secteur de la presse. Parce que, estime-t-on, la loi organique n°2009-029 du 22 décembre 2009 portant modification de la loi organique n°2004-021 du 15 décembre 2004 a « dépouillé la HAAC de ses pouvoirs administratifs et disciplinaires en matière de régulation ». Mais ce pouvoir, ils l’avaient déjà presqu’en entier, et ils en abusaient. C’est seule une certaine presse qui était harcelée quotidiennement. Pour un oui ou un non, les responsables des organes jugés critiques sont convoqués à la Haac, traités de tous les noms d’oiseau par les militants (sic) de cette institution. L’autre qui chante les éloges à Faure Gnassingbé, peut vilipender les leaders de l’opposition, relayer des appels à la haine, elle n’est nullement inquiétée.
Tout ce que la Haac ne pouvait pas faire, c’est de prononcer la cessation de parution ou d’émission. Une prérogative dévolue à la Justice, ce qui est tout à fait normal dans un Etat qui se veut de droit. C’est justement cette part de pouvoir que le régime tente de retirer à la Justice et remettre à Kokou Tozoun et les siens. Ces derniers se la sont presque déjà octroyé. La Haac n’avait-elle pas fait arrêter l’émission Dounenyo sur Légende Fm ? N’a-t-elle pas cautionné la fermeture de la radio X-Solaire ? Comme si toutes les prérogatives qu’elle s’est offertes ne suffisaient pas, le régime veut renforcer ses pouvoirs.
Avec le nouveau texte en instance d’adoption, les auditions des responsables des organes convoqués seront publiques et on peut les traiter d’« écervelés » en direct sur la TVT, la Haac peut prendre des « mesures conservatoires », la voie ouverte aux abus de toutes sortes. Par-dessus tout, Kokou Tozoun et compagnie pourront décider directement du retrait des récépissés et autres autorisations, ordonner l’arrêt provisoire ou définitif de parution ou d’émission ou retirer la carte de presse au journaliste sans forcément passer par la Justice, comme le prescrit l’article 26 de la Constitution : « La presse ne peut être assujettie à l’autorisation préalable, au cautionnement, à la censure ou à d’autres entraves. L’interdiction de diffusion de toute publication ne peut être prononcée qu’en vertu d’une décision de justice ». Pas besoin d’être sorcier pour se rendre compte que c’est la presse qui refuse de regarder dans la même direction qui est visée.
La mort de la liberté d’expression, retour au passé
Nous le disions tantôt, les premières cibles de cette nouvelle réforme, ce sont les journalistes et organes qui refusent de fermer les yeux sur l’arbitraire. Les organes qui refuseront d’être dociles (sic) seront sans doute fermés, et leurs employés envoyés au chômage. Mais au-delà, c’est la liberté d’expression que l’on tuerait à petit feu ; et c’est le peuple togolais qui serait sevré d’informations.
Les intimidations auront pour effets de pousser les journalistes à s’autocensurer pour « éviter des problèmes ». Au pire des cas, les émissions qui gênent seront arrêtées en un tour de bras, les récépissés retirés aux organes jugés critiques et qui troublent le sommeil du Prince. Ce serait ainsi la fin des critiques à l’égard du pouvoir, et les seules informations qui seront servies aux populations, seront celles émanant des médias d’Etat et des organes privés acquis à la cause du Prince, qui ferment les yeux sur ses dérives, chantent ses éloges. Ce serait ainsi le retour aux années d’avant 1990 où l’information était unidimensionnelle. La démocratie dont le fondement est la liberté d’expression et d’opinion, en prendra ainsi un sérieux coup.
Tino Kossi
liberte-togo