L’intégralité d’une interview accordée par Jean Pierre Fabre ce vendredi à Rfi


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« Ma rencontre avec le chef de l’Etat togolais a servi à quelque chose. L’ambiance était marquée par la correction et le sérieux, il a même déclaré que la loi lui impose de me recevoir au moins une fois l’an, reconnaissant ainsi mon statut de chef de file de l’opposition. »

Au Togo, c’est le dégel entre le pouvoir et l’opposition. A un an de la présidentielle, prévue en février 2015, le président Faure Gnassingbé a reçu avant-hier, mercredi 5 mars, le chef de file de l’opposition, Jean-Pierre Fabre. Va-t-on vers une campagne apaisée ? Ce n’est pas sûr pour autant. Jean-Pierre Fabre, qui préside l’Alliance nationale pour le changement (ANC) – le premier parti de l’opposition – répond depuis Lomé aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Votre rencontre de mercredi avec Faure Gnassingbé n’a duré que 30 minutes. Est-ce qu’elle a servi à quelque chose ?

Jean-Pierre Fabre : Bien sûr ! L’ambiance est marquée par la correction et le sérieux. Le chef de l’Etat a même déclaré que la loi lui impose de me recevoir au moins une fois par an, reconnaissant ainsi mon statut de chef de file de l’opposition. Je lui ai réitéré ma demande que le gouvernement mette en place un cadre formel où commenceront ces discussions dans les meilleurs délais. Le président est flou. La large majorité que détient son parti à l’Assemblée nationale l’incline à tenter de passer en force à l’Assemblée nationale. Mais nous entrerons , dans ce cas, dans une zone de turbulences. Je crains que nous nous retrouvions devant un blocage, si l’idée de discussions devant l’Assemblée nationale persiste. Mais pour dire que ça a servi à quelque chose : j’ai saisi l’occasion pour évoquer certaines de nos préoccupations, notamment la détention arbitraire des jeunes de l’ANC et l’inculpation, également arbitraire, des responsables du collectif Sauvons le Togo.

RFI : Dans l’affaire des incendies des marchés de Lomé et de Kara ?

Jean-Pierre Fabre : Voilà, et le chef de l’Etat en a pris bonne note. Je lui ai fait état du cas d’un des jeunes détenus qui est très malade. Il souffre d’une hernie ombilicale qui doit être opérée sans délai.

RFI : Vous demandez la limitation du nombre de mandats présidentiels. En 1999, le défunt président Eyadéma avait accepté sous pression internationale de limiter ce nombre à deux mandats. Mais en 2002, il a changé d’avis et aujourd’hui, le nombre de mandats est à nouveau illimité. Pourquoi son fils accepterait-il aujourd’hui de fixer une limite de temps à son pouvoir ?

Jean-Pierre Fabre : Ça dépend de ce qu’il trouve en face de lui. S’il trouve des populations togolaises, il va le faire. Je me souviens, vous évoquez l’acceptation par son père de la limitation des mandats, en présence du président Chirac qui était à Lomé à cette occasion-là, le chef de l’Etat acceptait de ne pas modifier la Constitution pour se représenter. Et il l’avait arrêté lui-même devant le président Chirac, parole de militaire. Ce qu’il ne l’a pas empêché de modifier la Constitution après. Mais si la population togolaise se mobilise pour exiger que le mandat soit limité, mais surtout si la loi est prise aujourd’hui et si elle limite le mandat à deux, elle s’applique immédiatement à Monsieur Faure Gnassingbé qui ne peut plus se présenter à la présidentielle de 2015.

RFI : Beaucoup de Togolais sont persuadés que Faure Gnassingbé va être candidat à sa succession l’année prochaine ?

Jean-Pierre Fabre : On va voir. Ça dépend de la pression qu’il aura en face de lui.

RFI : C’est-à-dire que l’audience de ce mercredi ne signifie pas que vous abandonnez la pression de la rue ?

Jean-Pierre Fabre : Non, pas du tout. Moi j’ai toujours été favorable à la conjugaison de la pression de la rue avec la négociation.

RFI : Aujourd’hui la présidentielle est à un seul tour. Vous demandez deux tours notamment parce que vous êtes très divisés dans l’opposition, donc a priori incapable de vous entendre sur une candidature unique dès le premier tour. Mais pourquoi Faure Gnassingbé vous ferait-il ce cadeau ?

Jean-Pierre Fabre : Nous ne demandons pas deux tours parce que nous sommes incapables de nous unir. Nous demandons deux tours parce que son père a pris l’engagement de ne pas modifier la Constitution et qu’il l’a modifiée, en violation de l’accord cadre de Lomé. Et donc nous demandons qu’on retourne au mode de scrutin contenu dans la Constitution de 1992. On veut aller à des élections normales. Maintenant « nous sommes incapables de nous unir », personne n’en sait rien. Nous disposons d’un an devant nous pour refaire le chemin perdu et puis travailler.

RFI : En tout cas pour l’instant, vous êtes divisés puisque maître Dodji Apévon du Comité d’action pour le renouveau (CAR) et Brigitte Adjamagbo-Johnson de la Convention démocratique des peuples africains (CDPA) vous reprochent de ne pas les avoir prévenus d’avoir demandé une audience à la présidence ?

Jean-Pierre Fabre : Je ne veux pas entrer dans la polémique, si non je répondrais que nous avons demandé à les voir et qu’ils n’étaient pas disponibles. Mais ça sert à quoi de dire toutes ces choses.

RFI : « Au Togo, la possibilité de renverser le gouvernement par les urnes n’existe pratiquement pas », écrit Kofi Yamgnane, dans son dernier ouvrage intitulé Afrique, introuvable démocratie. Est-ce que vous êtes d’accord avec lui ?

Jean-Pierre Fabre : Je comprends les raisons pour lesquelles il dit ça parce qu’il y a la fraude régulièrement ou bien l’obsession de fraude par le fichier électoral. On inscrit sur la liste électorale des étrangers, des mineurs, dans les villages frontaliers du Bénin et du Ghana, on fait venir massivement des gens pour venir s’inscrire sur les listes électorales, donc l’obsession de fraude du régime, oui ça peut amener à penser cela. Mais il faut s’organiser pour empêcher cela. C’est difficile mais est-ce qu’il faut refuser d’aller aux élections ? Est-ce qu’il faut se croiser les bras et attendre le cadavre du régime passer devant notre portail ? Non, il faut s’organiser, il faut travailler et c’est ce que nous faisons.

RFI : A la différence de son père et malgré la répression meurtrière d’avril 2005, Faure Gnassingbé est plutôt bien vu par la communauté internationale et même par le président socialiste français qui le reçoit à Paris. Est-ce que ça ne vous chagrine pas ?

Jean-Pierre Fabre : Non, il y a longtemps que j’ai compris que la communauté internationale ne s’investit jamais en profondeur, donc je continue de travailler en ne comptant que sur les populations congolaises. Il ne faut compter que sur soi-même.

RFI : Mais est-ce que Faure Gnassingbé n’a pas une meilleure image que son père dans le monde ? Est-ce que ça ne contrarie pas vos efforts ?

Jean-Pierre Fabre : Dites-moi ce que je peux faire de plus que ce que nous faisons ! Il faut se méfier, la communauté internationale a toujours, et d’ailleurs c’est normal, des prétentions en deça de ce que veulent les populations. Ce sont les Togolais qui comptent.

 
source : RFI
 
 

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