Les restrictions apportées aux libertés de manifestations le 7 août dernier par le pouvoir et son Assemblée de godillots ont interpellé le Haut-commissariat des nations unies aux droits de l’Homme (HCDH). Dans un courrier adressé au gouvernement en date du 25 septembre dernier, quatre (04)de ses rapporteurs spéciaux demandaient une relecture de la loi Boukpessi qui, manifestement, violait de nombreux principes et droits fondamentaux de l’homme reconnus par les instruments internationaux. Le pouvoir de Lomé lui a répondu sèchement ce dimanche. Et c’est un niet retentissent de sa part.
La requête sensée des rapporteurs spéciaux de l’ONU
« Nous avons des sérieuses préoccupations quant à l’effet que ledit projet de loi peut avoir sur la jouissance du droit à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association et nous invitons le Gouvernement de Votre Excellence à poursuivre le dialogue, afin d’apporter des réponses aux points et préoccupations soulevés dans cette communication », ont relevé les rapporteurs spéciaux sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression David Kaye, sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association Clément NyaletsossiVoule, sur la situation des défenseurs des droits de l’homme Michel Forst et sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste FionnualaNíAoláin, dans leur correspondance datée du 25 septembre, après avoir exposé les failles de ces modifications et les violations des droits fondamentaux dont les gouvernants togolais se sont rendus coupables.
« Nous encourageons également le Gouvernement à prendre toutes les mesures nécessaires pour procéder à un examen détaillé du projet de loi afin de s’assurer qu’il soit conforme au droit international des droits de l’homme et que des mesures seront mises en place pour s’assurer qu’en cas d’adoption sans révisions, son application ne conduit pas à des violations au droit de réunion pacifique et à la liberté de réunion d’association. Nous recommandons aussi au Gouvernement de votre Excellence de demander une nouvelle délibération de la loi, ou de certains articles, comme il est prévu par l’article 67 de la Constitution. Comme il est de notre responsabilité, en vertu des mandats qui nous ont été confiés par le Conseil des droits de l’homme, de solliciter votre coopération pour tirer au clair les cas qui ont été portés à notre attention, nous serions reconnaissants(es) au Gouvernement de votre Excellence de ses observations sur les points suivants:1. Veuillez fournir toute information et commentaire supplémentaire que vous pourriez avoir sur les questions susmentionnées. 2. Veuillez fournir toute information sur l’état actuel du projet de loi et sur la motivation du Gouvernement de votre Excellence à demander une nouvelle délibération du texte », ont requis formellement les mandataires de l’ONU.
Selon des connaisseurs de la chose juridique et habitués des milieux onusiens, en parlant de nouvelle délibération, ces rapporteurs spéciaux demandaient simplement une relecture de la loi Boukpessi. Une requête sensée, qui repose d’ailleurs sur des dispositions de la Constitution, notamment l’article 67 qui stipule : « Le Président de la République promulgue les lois dans les quinze (15) jours qui suivent la transmission au Gouvernement de la loi définitivement adoptée par l’Assemblée nationale ; pendant ce délai, il peut demander une nouvelle délibération de la loi ou de certains de ses articles, la demande doit être motivée. La nouvelle délibération ne peut être refusée ». Et selon les indiscrétions, les rapporteurs spéciaux ont eu la certitude que ladite loi n’a pas encore été promulguée par Faure Gnassingbé, raison pour laquelle ils ont tenu à interpeller le gouvernement togolais.
Le refus catégorique du pouvoir de Lomé
« Il n’y aura pas de relecture de cette loi. Quand les Nations Unies donnent des avis soudés, nous pouvons agir en conformité de cela. Mais quand cet avis est en décalage par rapport à nos intérêts fondamentaux, nous ne pouvons pas écouter cela ». Telle est la réponse sèche du pouvoir togolais aux quatre rapporteurs par le biais de Gilbert Bawara, le ministre de la Fonction publique, du Travail et de la Réforme administrative, servant de porte-parole du pouvoir, au cours d’une intervention médiatique dimanche. Et à travers eux, le HCDH et toute l’ONU.
« Nous sommes mieux placés en tant que gouvernement et en tant que Togolais pour savoir ce qui est dans l’intérêt de la sécurité et de la paix au Togo. Personne d’autre. Dans la loi régissant les manifestations, il y a un certain nombre de limitations concernant les endroits pouvant accueillir les manifestations. Ce n’est pas une invention togolaise », a-t-il ajouté, et de donner l’exemple du Sénégal où il existerait un décret interdisant des manifestations dans certaines zones. « Ce décret date de la période d’Abdoulaye Wade. Je ne crois pas que c’était un autocrate ou un dictateur. Le décret est adopté en conseil des ministres et ne donne pas droit à un débat public. La possibilité d’attaquer un décret est beaucoup plus difficile que d’attaquer une loi pour inconstitutionnalité. Au Sénégal il y a une limite d’heure pour organiser les manifestations. En quoi c’est une singularité ou une particularité togolaise ? ».
Il s’agit donc d’une fin de non recevoir du pouvoir de Lomé aux rapporteurs spéciaux et au HCDH. Cette réponse sèche est une façon polie de dire à l’ONU : mêlez-vous de ce qui vous regarde. C’est une lapalissade, c’est ainsi que les régimes autocratiques fonctionnent, et celui de Lomé en fait bien partie. Le pouvoir Faure Gnassingbé n’hésite pas à exalter l’ONU lorsque certains de ses rapports l’arrangent, du moins sont moins incisifs. Il ne manquait à Gilbert Bawara que d’assener l’argument-massue dans ces genres de situations, celui de souveraineté du pays. Le pouvoir en place est simplement coutumier de ces genres de déclarations choc lorsqu’il se retrouve dos au mur… On se rappelle les déclarations culotées de YarkDamehame au sujet de l’évacuation sanitaire en octobre 2018 de Habia, Nicodème pour laquelle le Facilitateur ghanéen dans le dialogue politique togolais à l’époque, Nana Akufo-Addo avait dépêché un avion médicalisé à Lomé, mais qui fut malheureusement interdit d’atterrissage. « Le Togo n’est pas une colonie du Ghana », s’était-il permis.
Le pouvoir de Lomé se fout royalement des recommandations de l’ONU. Et avec cette sortie de Gilbert Bawara, on peut aisément se faire (aussi) une idée de la suite réservée aux recommandations du Comité contre la torture formulées à l’endroit du Togo suite à la présentation de son 3e rapport périodique fin juillet dernier. Déjà le pouvoir a donné le ton de ses véritables intentions. Alors que le Comité exigeait une fermeture « définitive » et « sans délai » de la prison civile de Lomé, au regard des conditions inhumaines de détention, le régime Faure Gnassingbé, à travers les responsables de l’administration pénitentiaire, a plutôt engagé des travaux de rénovation. Cela fait donc deux uppercuts du régime de Lomé à l’endroit de l’ONU en l’espace de quelques semaines ou jours. En tout cas, l’organisation onusienne appréciera.
Tino Kossi
source : Liberté