Smockey : « La lutte a été longue. Mais au bout du compte, on a été gratifié par une issue »


Smockey


Interview de Smockey, l’un des leaders du mouvement « Balai citoyen » au Burkina
 
Figure de proue de la révolution burkinabé et un des responsables du mouvement Balai Citoyen, Serge Bambara alias Smockey, s’est confié à nos confrères Ferdinand Ayité et Idelphonse Akpaki lors de leur séjour à Ouagadougou. Après avoir fait l’historique de son mouvement, il est revenu sur les actions qu’ils ont menées jusqu’à la chute du régime Compaoré. « La lutte a été longue, elle n’était pas évidente. Mais au bout du compte, on a été gratifié par une issue. Il y avait un certain fatalisme au niveau de la jeunesse du fait que depuis le 6 janvier, il n’y avait pas eu de succès dans toutes les démarches qui ont été entreprises par le peuple, il nous fallait une victoire absolument pour faire comprendre à la jeunesse que lorsqu’on lutte, il peut y avoir des fruits », a-t-il déclaré. Lecture.
 
Vous êtes l’un des responsables du mouvement citoyen ici au Burkina Faso, notamment « Balai citoyen ». Dites-nous comment vous vous êtes pris pour véritablement conduire cette révolution qui a emporté le président Blaise Compaoré ?
 
Je pense qu’avant tout j’aimerais insister sur le fait que nos détracteurs pensent que nous voulons nous auto-médailler. Je dirai que c’est une victoire du peuple burkinabé. On a suffisamment insisté là-dessus. Pour revenir sur les faits. Ça a été un travail de longue haleine. Un travail de tous les instants. Franchement on n’a pas ménagé de notre temps pour y arriver. On travaillait tous individuellement à cette issue ; puisqu’on était chacun dans un style qui s’y prêtait bien, c’est-à-dire que ça soit Hip-Hop ou le Reggae. Et puis, effectivement de nombreux collègues journalistes et étudiants faisaient toujours ce travail de conscientisation. Ça a été plusieurs années de lutte individuelle avant qu’on ne se rende compte de la nécessité finalement de mettre en place une vraie organisation, comme disait un groupe de chant que j’ai rencontré à Casablanca « s’organiser c’est gagner ». Donc nous en avons fait notre crédo. Il y a donc le « Balai citoyen » qui a été créé sur le principe de l’unité d’action. Nous avons essayé de convaincre d’autres structures, de jeunes structures avec lesquelles nous travaillions déjà, de s’impliquer au sein du « Balai citoyen ». C’est ainsi que nous avions fait notre première conférence de presse élargie au niveau de la Place de la Révolution. Nous continuons à l’appeler Place de la Révolution bien qu’on voudrait l’appeler la Place de la nation ; la suite a prouvé que nous avons raison.
 
Au fur et mesure, il a fallu qu’on mette en place des actions, parce que ce qui a motivé la création du mouvement « Balai citoyen », c’est la frustration au niveau de la jeunesse qui ne se sentait pas représentée par les partis politiques ou d’autres organisations de la société civile dont la mission a été de gérer le pouvoir. Nous avions très vite, essayé de faire la différence, c’est-à-dire discourir un peu moins et agir un peu plus. Il y a eu toute sorte d’actions liées à la désobéissance civile, des actions autorisées ou parfois non autorisées (blocages de voies, sit-in, marches) ; et puis à côté du discours politique, on a aussi des actions sociales comme la réclamation de meilleures conditions au niveau des hôpitaux, de nettoyage de maternités, de plantation d’arbres ; tout ce qui peut être d’intérêt collectif, par exemple le sit-in qu’on a organisé contre les délestages de la Sonabf. Tout ça pour faire comprendre à la population que nous étions là pour les citoyens avant tout. Nous pensons qu’il y a une possibilité de renverser les rapports de gouvernance, c’est-à-dire que le gouvernement doit être populaire selon la formule démocratique qui dit : « le pouvoir par le peuple pour le peuple ». Nous pensons que ça ne doit pas être une formule creuse et vide de sens. Donc on peut renverser la situation. A partir du moment où les gens sont suffisamment soudés, comme notre slogan laisse à le prétendre (puisque notre slogan c’est notre force), on peut faire en sorte que cette population-là représente une sorte de bloc de pression citoyen qui oblige les autorités à travailler dans le sens de notre intérêt. Et c’est ce que nous nous sommes appuyés à faire.
 
La lutte a été longue, elle n’était pas évidente. Mais puisqu’au bout du compte on a été gratifié par une issue. Il y avait un certain fatalisme au niveau de la jeunesse du fait que depuis le 6 janvier, il n’y avait pas eu de succès dans toutes les démarches qui ont été entreprises par le peuple, il nous fallait une victoire absolument pour faire comprendre à la jeunesse que lorsqu’on lutte, il peut y avoir des fruits.
 
Alors on sent bien qu’artiste engagé que vous êtes, vous avez servi de canalisation à toutes ces frustrations au sein de la population du Burkina Faso. Des frustrations qui ont débouché sur cette révolution qui a emporté le président Compaoré. Mais les choses n’ont pas été aussi faciles que ça. Il y a eu des manifestations, des morts. A un moment donné, l’armée aussi a pris ses responsabilités. Qu’est-ce qui s’est réellement passé? Comment les choses se sont-elles entremêlées des dernières 24 heures qui ont conduit à la chute du régime.
 
Il est dommage qu’il y ait eu ces morts-là. Effectivement ce sont des pertes en vies humaines – que nous regrettons – parfois liées à la bêtise des calculs politiques. Mais voilà, c’est un sacrifice que nous honorons et pour lequel nous militons en tout cas pour la reconnaissance pour ces sacrifices, notamment ces journées de deuil que nous avons réclamées, ces mausolées que nous attendons. En tout cas, il faut marquer le coup. Il ne faut plus que cela arrive ; il ne faut plus qu’on en soit obligé à l’ultime sacrifice pour faire comprendre des vérités simples à nos dirigeants. C’est vrai que lors de la première marche –pour essayer de relater les faits dans la moindre mesure – qui était organisée, je crois le 28, l’opposition, comme d’habitude a effectivement appelé à investir les rues. Nous aussi partenaires, nous avons les mêmes objectifs. Je rappelle que nous suivons les idées, les objectifs, et jamais les individus ; nous avions presque les mêmes objectifs. Donc nous avions soutenu cette marche ; mais nous n’étions pas prêts à ce que ça soit une énième promenade, c’est-à-dire venir se balader sur les goudrons, puis après lancer une bataille d’informations pour dire que, voilà le peuple est sorti nombreux pour qu’ensuite éventuellement l’ex-parti majoritaire fasse sortir les gens dans la rue. Nous pensons que c’est le mythe de Sisyphe. Il fallait rompre ce cercle vicieux qui nous mène tout le temps à repartir en arrière. Du coup, nous avons forcé un peu le destin, puisqu’on a créé la marche en sens inverse et on a demandé aux gens de nous suivre jusqu’au rond point de la nation. Initialement on n’avait pas prévu provoquer l’affrontement. Mais je pense que sous la pression de la foule ce qui devrait arriver arriva.
 
L’affrontement a été inévitable. Et donc ça a été 24 heures de chasse-poursuite dans la ville de Ouagadougou. Mais ça a été nécessaire parce que ça a sonné les cloches du rassemblement populaire et de la détermination. Déjà, bien avant cela, nous avions lancé le mot d’ordre de désobéissance civile et nous nous étions appliqués que se soient mis en place des barrages partout dans la ville pour faire monter la pression et obliger la population à se rendre compte de l’importance de ce qui est en train de se tramer. Donc après ces 24 heures de chasse-poursuite, le ton était lancé. Il fallait maintenant faire tout pour se rapprocher le plus près possible de cette fameuse Assemblée. Il y a eu des tentatives d’occupation du rond point de la nation à maintes reprises qui ont été dispersées et gazées par les forces aujourd’hui de l’ordre, mais à l’époque nous les appelions les forces du désordre. Mais ça ne nous a pas
découragés. Nous avons continué à forcer ; nous avions appelé la Constitution qui donne le droit aux citoyens d’assister au débat de l’Assemblée nationale ; nous avions appelé les gens à se mobiliser pour être présent le jour du vote, sachant très bien qu’on nous empêcherait de le faire, vue la ceinture des forces qui a été mise en place pour la circonstance, notamment l’appui des militaires.
 
Mais nous savions aussi que sous la pression de la foule, les ceintures pouvaient être craquées, ce qui était arrivé bienheureusement. C’est comme ça que l’Assemblée a pu être prise d’assaut, c’est comme ça que le projet de loi a dû être retiré. Mais au vu des risques que nous avions encourus, des pertes en vies humaines, il nous semblait nécessaire d’aller au retrait du projet de loi. Il ne s’agissait plus simplement d’un retrait de projet de loi. Mais il s’agissait surtout de bonifier d’une certaine façon, si je peux m’exprimer ainsi, ces martyrs qui ne devraient pas être tombés pour un rien. On leur devait au moins ça. On leur devait un sursaut d’orgueil populaire ; on leur a donné au moins la sortie par la petite porte de Blaise Compaoré. Et voilà pourquoi nous sommes allés au bout. Et c’est le peuple burkinabé qui a poussé finalement ce dictateur à s’en aller.
 
Pour parler de l’épisode de l’armée, lorsqu’il y a eu des déclarations tendant à annoncer une présidence bicéphale, nous avions vu l’ex-président du Faso Blaise Compaoré se pavaner d’une certaine façon au niveau des médias et affirmer toute sa condescendance sa « magnanimité », la levée de l’état de siège ; ça a été choquant pour nous.
 
C’est là que votre rôle a été déterminant en tant que société civile parce que le président Blaise Compaoré a réapparu sur l’écran de Canal 3 et ça a créé un petit flottement au niveau de la classe politique, mais c’est la société civile qui, regroupée à la place de la révolution, a dit non, il n’en est pas question ; il faut que Blaise parte. Vous avez été déterminés.
 
Nous étions convaincus que c’était la dernière possibilité et je l’ai dit à maintes reprises lors de la caravane qui nous a amenés à sillonner la ville pour demander au peuple de prendre ses responsabilités. C’était un moment historique. Je pense que c’était maintenant ou jamais. Il fallait que les gens comprennent ça. J’ai eu même à dire que si jamais Blaise ne partait pas j’allais renier à ma nationalité burkinabè. Ça a fait rire, mais j’étais véritablement sérieux. Je pense que le peuple burkinabè se devait de réagir fortement et de pousser à la sortie Blaise Compaoré. Donc, nous étions condamnés à le réussir. Quand vous aviez harangué la foule, vous aviez demandé à une jeunesse de vous faire confiance parce que la jeunesse y croyait, ses yeux brillaient de liberté, vous n’avez plus le droit de vous échapper à la dernière minute.
 
Pour nous, il fallait réagir. Et c’est comme ça que nous avons appelé les gens à la place de la nation et à la veille, le 30, c’était le soir où nous avons encerclé l’Etat-major et nous avions demandé sur le cri « L’armée avec nous ! L’armée avec nous ! ». Nous avons pris nos mégaphones et avons fait le tour de l’Etat-major. La mobilisation n’étant pas suffisamment importante, l’appel a continué jusqu’au lendemain. Le lendemain, lorsque la foule était véritablement présente, la pression était là. Le même mot d’ordre persistait. Il y avait aussi des gens qui réclamaient notamment Lougué. Nous nous sommes dit, il faut que nous profitions pour vraiment demander à cette armée si elle est vraiment républicaine, si elle est au service de la patrie, si elle est pour la défense des Burkinabé, de prendre ses responsabilités. Et c’est ainsi que nous avions demandé à rencontrer les officiers. Ça a pris du temps.
 
La foule s’excitait. Nous avions décidé d’accélérer le processus. Nous avions eu à rencontrer les officiers à l’intérieur qui étaient déjà en conclave. Tous les officiers de l’armée étaient présents, toutes catégories confondues. Nous avons donné un message. Je précise que dans la salle, nous n’étions pas seuls, même si aujourd’hui on ne voit que le « Balai citoyen », parce que certains ont envie de nous jeter la pierre. Il faut qu’on sache que nous n’étions pas seuls. Nous avions fait appel notamment à des représentants de la société civile comme Augustin Louada, Prof Luc-Marie Ségrega, Hervé Dugar.
 
Nos propos étaient clairs. Premièrement, l’armée doit historiquement prendre ses responsabilités. Sinon le peuple va devoir marcher sur le palais de Kosyam sachant bien que la poudrière des mercenaires étant présente nous ne pourrions pas éviter des milliers de morts; et si l’armée ne prenait pas ses responsabilités, elle aura ses morts sur la conscience. Deuxièmement, nous voudrions la démission sans délai et sans condition de Blaise Compaoré. Tout le monde s’est exprimé ; il y a eu quelques flottements. C’est là que le général nous a dit que Blaise était toujours dans la légalité. Ce à quoi nous avons répondu qu’il n’était plus question de légalité encore moins de choix. Il fallait prendre une décision patriotique pour l’intérêt de la nation qui est au-dessus de l’intérêt des individus et donc l’armée dans sa fonction républicaine et de défense des citoyens se devait de prendre ses responsabilités
et que la seule décision qu’on pouvait annoncer aux manifestants était le départ immédiat de Blaise Compaoré. Il n’y a cela que les gens attendaient. Après moult tractations, les officiers ont fini par assumer leurs responsabilités
 
Alors vous avez réussi. Avant de revenir sur la question de l’armée, est-ce que vous avez une idée sur des mercenaires qui étaient au palais ?
 
Nous avions de sérieuses craintes liées aux informations que nous avions reçues. D’ailleurs, les premières personnes à avoir été abattues lâchement, ce sont les premiers militants. C’était au domicile du petit frère de Blaise, François Compaoré. J’ai eu des raffalages. Ce n’étaient pas des éléments de force de l’ordre habituels, parce que nous savions déjà qu’il y avait une partie de l’armée qui était avec nous. C’est un travail qui s’est fait sur plusieurs années. Lors de nos manifestations, de nos actions, le plus souvent les militaires nous soutenaient « Allez-y, continuez la jeunesse. Il faut ça », nous encourageaient-ils. Les quelques gages que nous avions eus lors de la manifestation du 28 et 30 était déjà palpable. Lorsque l’Assemblée a été encerclée, les militaires ont tiré en l’air, mais n’ont pas tiré sur la foule.
 
Vous avez dit que ce n’était pas des forces de l’ordre habituelles. Y a-t-il des mercenaires?
 
Lorsque nous étions sur la place de la révolution, il y avait un des mercenaires qui étaient d’origine togolaise. Puisque les papiers d’identité ont pu être récupérés ; donc, il se dit dans la foule que des militaires (CRS) d’origines togolaise et libérienne étaient présents. Ils étaient des mercenaires qui ont été envoyés par le président pour se mêler aux forces locales de l’armée. Nous avons dû faire appel au calme parce que la foule risquait de s’en prendre aux ressortissants togolais ou libériens sous ce simple prétexte-là. Nous avons dû user de notre voix pour expliquer aux gens qu’il ne fallait pas mélanger les choses. Un mercenaire devant nous s’est fait prendre avec une pièce d’identité togolaise. Maintenant pour le reste, je ne saurais vous dire. En tout cas, je pense que quand il y a beaucoup de rumeurs, il y a un petit fond de vérité. Certains militaires m’ont confirmé que des étrangers étaient parmi la garde personnelle du président. Ce sont des gens qui travaillaient avec le président. Vous savez que souvent, nous avons des rencontres avec des éléments même du système ; donc dans ce cadre-là, nous avons pu avoir certaines révélations mais malheureusement que nous n’avons pas pu vérifier.
 
Alors, les militaires ont donc pris le pouvoir, ça fait maintenant dix jours ou bientôt deux semaines que ça dure, vous êtes engagés dans des discussions, où en êtes vous exactement en ce moment-ci?
 
En ce moment, c’est vrai qu’il y a quelques dégoûts que nous avons eus en termes de rapports avec d’autres mouvements, notamment de la société civile. Voyez, il est difficile parce qu’on ne peut pas donner cette image de la société civile qui se lance dans des calculs. C’est un peu délicat. Voilà pourquoi nous avons annoncé ne plus vouloir faire partie de cette plateforme-là, mais plutôt travailler avec un comité au sein du mouvement Le Balai Citoyen pour faire des propositions qui pourraient être prises en compte. Au moins de faire des rapports et des propositions. Au finish, il y a eu quelques tractations et des négociations, nous avons un représentant au niveau des plateformes des organisations de la société civile qui s’est appliquée à ce que nos propositions fassent partie du rapport. Apparemment, de ce que j’ai appris, beaucoup de nos propositions ont été prises en compte. Il reste certainement quelques points litigieux. Maintenant, je pense qu’il apparaît urgent finalement d’accélérer le processus pour ne pas que les militaires se sentent trop à leur aise aussi.
 
Est-ce-que ça veut dire que vous n’avez pas trop confiance aux militaires ? Parce qu’on a comme impression que les militaires jouent au chrono.
 
Nous n’avons confiance en personne. Les gens ne comprennent pas. Nous aurons fait à un moment donné une sorte de compromis, un arrangement. Ce à quoi nous avons fait confiance, c’est l’institution de l’armée, ce n’est pas un individu, il faut qu’on se comprenne. Maintenant, il y a eu des actes de bonne volonté qui nous ont amenés à avoir confiance d’une certaine façon à la volonté qu’avaient les militaires de nous amener vers une transition civile. Ils l’ont dit eux-mêmes à maintes reprises. Ils ont même fait des déclarations. Donc, il n’y a plus de raison que l’on doute de cela. Il faut rester quand même positif. Vous savez, quand vous laissez un vide, les choses peuvent se passer d’une certaine façon comme on le dit en vrille. La confiance n’exclut pas le contrôle. Il faut qu’il y ait un contrôle permanent de sorte que les militaires se disent qu’ils n’ont plus d’autre choix que d’aller très vite au passage du pouvoir militaire au pouvoir civil. Maintenant, l’image que la société civile, les partis politiques sont en train de donner n’est pas redorant.
 
Cela peut amener éventuellement à conforter les militaires dans le fait que la société civile est divisée et d’en profiter pour rester un peu plus longtemps. Voilà pourquoi nous disons que la société civile doit aller plus vite. Nous avons confiance au processus. Le processus est en train d’être mis en place, mais nous pensons en tout cas au niveau du mouvement le « Balai Citoyen » que dans les 48 heures qui viennent, on propose au moins un nom pour le président de la transition. Ça me semble important qu’il faut d’abord que les institutions d’une certaine façon soient officiellement déclarées et mises en place avant qu’on puisse finir d’aller sur les détails.
 
Actuellement, on s’attache à fignoler les détails alors même que l’essentiel n’est pas présent, comme lorsqu’on parlait de mettre en place une alternative avant même qu’il y ait alternance. Donc, il ne faut pas qu’on mette la charrue devant le bœuf. D’un point de vue formel, on voit bien qu’on se dirige vers un organe de transition formelle. Je pense qu’il faut y aller plus tôt, et les détails, le contenu, la répartition que les uns et les autres veulent, suivront. Nous n’en voulons pas au « Balai citoyen ». Donc, ce n’est pas un problème pour nous. Ils pourront s’arranger entre eux. Pour l’instant, ce qui nous intéresse, c’est qu’on aille très vite effectivement à l’organe de transition civile, aux élections démocratiques libres et transparentes. Notre mission ne sera pas terminée, mais au moins nous serons allés jusqu’au bout, puisqu’on dit que les faibles ne finissent jamais rien
eux-mêmes ; ils attendent toujours pour finir. Nous pensons aller jusqu’au bout du processus pour qu’on puisse dire qu’au moins nous avons fait un travail sérieux et que ce soit un exemple pour le reste de la sous-région.
 
Quel regard portez-vous sur le ballet diplomatique auquel on assiste depuis quelques jours à Ouagadougou, les émissaires de l’Union africaine, de la Cédéao, des chefs d’Etat qui viennent et qui partent, ces gens qui n’ont pas interpellé Blaise au moment où il voulait faire son coup ? On dirait même que ces institutions sont en concurrence entre elles.
 
Je ne sais pas s’il faut rire ou pleurer. Pour ma part, je pense que ça ne mérite ni l’un ni l’autre, parce que rire et pleurer fait partie des émotions, et ces gens n’en ressentent aucune. Je trouve comme tout le monde que c’est l’ambulance après la mort. Et comme d’habitude, on les attend sur les chantiers où ils ne sont jamais là, et c’est lorsque les sacrifices ont du être consentis qu’ils apparaissent comme par magie et proposent des solutions. Le comble est que dans de pareilles circonstances, ils donnent des ultimatums. C’est vrai que nous voyons cela d’un mauvais , mais nous sommes obligés d’une certaine façon d’avoir cette ouverture avec les autres pour que ce processus révolutionnaire ne s’achève pas par un mauvais marketing. C’est quelque chose qui fait très mal sérieusement, parce que nous avons rencontré au sein du mouvement le «Balai citoyen » à maintes reprises ces institutions internationales.
 
Nous avons rencontré la Délégation de l’Union Européenne, l’ambassadeur des Etats-Unis. Ce dernier a été l’un d’eux à avoir une position ferme par rapport à cette tentative de fraude du président Blaise Compaoré. La plupart du temps, il y a un certain devoir de neutralité diplomatique. Où est-elle passée ? Aujourd’hui, on comprend bien que d’autres intérêts sont en jeu. Le président Blaise Compaoré lui-même pendant ses 27 ans de règne, après avoir été nommé médiateur, pacificateur, arrangeur, homme de paix, a été déboulonné par de vrais pacifistes, et aujourd’hui, on veut nous faire la morale sur des droits humains. Tout le monde parle démocratie, bonne gouvernance, droits humains ; c’est comme si derrière, il y a une tentative de récupération.
 
Quel sort doit-on réserver à Blaise Compaoré et ses collaborateurs qui sont empêtrés dans des crimes de sang ?
 
Le seul qui siée à tout citoyen, c’est le jugement. Lorsque vous avez commis des actes répréhensibles par la loi, vous devez être jugé. Je pense que c’est ce qui attend Blaise et certains de ses acolytes. J’ai toujours dit que s’il fallait comparer Blaise à Mandela qui avait fait 27 ans de prison et 4 années de présidence, il a fait 27 ans de règne, c’est ainsi qu’il faut l’appeler. Donc tôt au tard, la justice va le rattraper. Il n’y a pas de frontière suffisamment isolée, compacte pour empêcher la récupération de Blaise par la justice. Une fois les institutions en place, des mandats seront certainement lancés. Il sera lâché par ses amis. Vous savez qu’en politique, il n’y a pas de fidélité, et Blaise lui-même l’a montré en éliminant des gens dont il s’est fait entourer. Ceux-là qui l’ont extradé lorsqu’il va devenir un colis encombrant pour eux, vont chercher à refiler la patate chaude. Et nous espérons que ce sera le peuple burkinabé qui le récupérera pour qu’il puisse être jugé. Bien entendu, nous ne sommes pas des criminels, nous ne voulons pas assassiner nos bourreaux. Nous voulons simplement qu’ils répondent de leurs actes.
 
Vous êtes le symbole de la jeunesse et les attentes sont assez énormes. Est-ce que vous êtes confiants pour l’avenir ?
 
Oui, nous sommes confiants. Je disais à un moment donné de la lutte qu’il faut être pessimiste puisqu’on dit que l’optimiste a inventé l’avion, le pessimiste le parachute. Donc, il est nécessaire d’être pessimiste dans la lutte pour être prévoyant. Mais une fois que vous êtes en train d’obtenir les fruits d’une lutte, il faut à nouveau avoir recours à l’optimisme. Les deux sont importants. C’est important pour se sortir des états de crise. Cette confiance, si nous ne l’avions pas, nous ne serions pas arrivés jusqu’ici. C’est une question de conviction. Nous ne trichons pas avec nos convictions, et de toute façon, la lutte continue et elle continuera vaille que vaille.
 
Un message de Smockey à la jeunesse africaine ?
 
Le message que je peux lancer à la jeunesse africaine, c’est de lui dire de ne plus avoir peur du mot politique. Si vous ne faites pas la politique, vous faites le jeu du pouvoir en place, le jeu de tous ceux qui veulent s’enrichir personnellement au détriment de la masse. Pendant qu’on ne regarde pas, comme le dit mon frangin Awadi, qu’on est tourné vers les autres Etats, qu’on veut s’exiler, etc., on laisse la place à d’autres qui en font leur beurre et qui s’en mettent plein les poches. Je pense qu’il est important pour la jeunesse d’être éveillée, qu’elle soit consciente, qu’elle s’imprègne des réalités de son pays. De ne plus les laisser aux vieux crocodiles qui ne sont là que pour se servir et sacrifier l’avenir de tous. Donc, il est important que la jeunesse s’implique. On peut faire de la politique sans forcément être politicien ; être bon citoyen, une sorte de veille, de sentinelle des valeurs de la démocratie pour faire en sorte qu’il n’y ait pas un chef d’Etat qui fasse une seconde de trop, parce que dès lors qu’on tord le cou aux règles une seule fois, on finit par trouver cela facile. Pour nous, ça s’arrête là. Si on veut obliger les autorités à le faire, on n’a d’autre choix que de s’impliquer réellement, d’avoir un droit de regard sur la gestion des deniers publics, la façon dont on gère notre patrimoine.
 
Ferdinand Ayité « L’Alternative » & Idelphonse Akpaki « Gazette du Golfe »
 

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