TOGO : Appauvrir pour régner, le plus laid des instruments d’un pouvoir à vie


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Le Togo, on le dira aussi longtemps que l’occasion nous le permettra, est malade. Il n’est pas simplement malade, il est à un stade grabataire. Les faits crèvent les yeux, c’est juste un constat que le bon sens peut faire. Du père en fils, puisque toute bâtisse mal posée s’implose, le régime RPT-UNIR est en implosion, il s’implose de ses propres méthodes. Le père s’en est allé, le fils, lui, il est présentement nostalgique d’une puissance perdue à l’ombre d’une mission restauratrice érodée par les habitudes de la maison. On ne restaure que ce qui a déraillé et le fils est conscient que le règne du père, si à l’entame avait un engagement politique noble, a déraillé au crépuscule. Ce n’est pas un hasard si le ‘’prince héritier’’ s’en est très vite désolidarisé : « lui c’est lui, moi c’est moi». Dommage, rien ne change malgré tout. Le pays que le père a mis en genoux, le fils l’a couché par terre et le miracle tant convoité s’éloigne. Dans un environnement resauté, fade et miséreux, monsieur Faure est conscient de la déconfiture mais il tient les câbles en comptant sur les divisions des réseaux et en entretenant le désordre qui a embrassé tous les secteurs.
 
Fenêtre sur un glorieux passé
 
Dans un monde où tout bouge, les méthodes qui n’évoluent pas meurent. En termes de développement, le temps s’est arrêté depuis un moment au Togo. Le temps s’est arrêté depuis que feu Eyadema, du haut d’un orgueil, née des mouvements du vent de l’Est, s’est résolu à se servir plutôt que de servir son peuple, tel qu’il a si bien commencé. Inutile de vous rappeler que, à un moment du règne du père, bien que ce fût une dictature, le crime économique était reconnu comme tel et puni à la hauteur de l’offense. Nous avions connu des exilés avec des motifs aussi légers que pardonnables. Les uns ont été obligés de se masquer en turban de touareg pour traverser les frontières et embrasser l’exil par ce qu’un 800 000 CFA a disparu de la gestion, les autres ont fait la prison parce qu’ils ont obtenu des prêts que Lomé II estimait trop colossaux. Entre autres exemples, le cas de DONOU qui avait consenti un prêt régulier de 90 millions de nos francs, en accord avec le Conseil d’Administration de la C.N.C.A., Caisse Nationale de Crédit Agricole, pour développer ses activités aurifères et le cas Ali Kpowou qui, pour sa part, a sollicité la même caisse pour des fins agropastorales.
 
La liste est longue, les uns mourront en détention, les autres en sortiront démolis, les plus chanceux en exile. Comme pour donner l’exemple, c’était la modestie dans les dépenses publiques au sommet. Les témoins de la belle époque renseignent qu’il n’est pas rare que, de retour des voyages officiels, le reliquat des dépenses de monsieur le président soit reversé au trésor public. Mais, les dictatures, commencent toujours avec des personnalités mornes, des gestionnaires dépassionnés qui ne donnent pas dans le spectacle, des individus avec lesquels la mise en scène médiatique du moi est limitée. Dans les premiers moments d’Etienne Eyadema, ce n’était pas pour ironiser que le Togo était appeler « la Suisse d’Afrique ». On y voyait un petit mérite qui s’y apparentait et Eyadema en était particulièrement fier quand il capitalisait que, les banques togolaises, déjà à l’époque, étaient une destination sûre pour les capitaux dans la sous-région. Un autre constat à l’époque était que, en Haute Volta, actuel Burkina-Faso, un couple aisé qui ne vient pas finir sa lune de miel par une promenade au grand marché de Lomé, n’a pas fait un mariage réussi. Aussi, à Cotonou, un jeune viveur qui n’est pas venu passer son week-end à Lomé, n’a pas bien fini sa semaine.
Arrive alors le vent de l’Est à une période où, pour celui qui se faisait appeler le « Timonier national », tout était placide comme une barque sur un fleuve tranquille.
 
Avec son système, Eyadema a plié mais il a refusé de rompre, instinct de conservation oblige. Au moment où le nouvel ordre prônait une gestion participative et au mieux, un partage du pouvoir, l’occasion est venue de verrouiller l’entourage pour reprendre la main. Une nouvelle race a pris place, ou du moins le système a changé sa vision de la chose publique. Des inconditionnels ont formaté Eyadema à l’idée qu’il est temps qu’il se serve plutôt que de continuer à servir un peuple « ingrat » qui n’hésite pas à lui remercier en monnaie de singe en sabotant les acquis de sa gestion publique. Et pourtant, la démocratie, partout où elle s’est invitée, les infrastructures publiques ont fait les frais des rancunes cumulées. Bonjour les dégâts, le crime économique n’en est plus un.
 
Ici naissent les laides habitudes, Lomé II peut demander à telle ou telle autre société d’Etat d’apporter tel ou tel liquidité pour les besoins non-budgétisés et surtout de propagande politique. Chaque régie financière avait une sorte de caisse noire pour alimenter les imprévisions du pouvoir. Après Eyadema, cette vilaine habitude, qui ouvre les vannes des détournements, a résisté au temps. Les sociétés d’Etat, déjà souffrantes de la propagande politique, commencent à tomber l’une derrière l’autre. Contrairement aux dictatures militaires comme celle de feu Kérékou du Bénin, celle d’Eyadéma a résisté au vent de l’Est. Mieux, Gnassingbé premier devient un des plus anciens de sa race, et il est consulté comme tel. Avec une telle image, à un moment où Lomé II est devenu un robinet financier, les succès diplomatiques se relaient. La maladie du pouvoir se déclenche souvent après un grand succès suivi d’une ascension irrésistible. Celle d’Eyadema a alors commencé, son fils en aura pour héritage.
 
Appauvrir pour régner, le plus laid des instruments d’un pouvoir à vie
 
Il n’est plus seulement question de résister à la fronde de la démocratie, il faut ancrer le pouvoir dans la durée. Au-delà des crimes économiques, les crimes de sang ne sont plus rares. Tout ce qui contribue à maintenir le système était expérimenté parfois même par des réseaux qui se réclament d’Eyadema sans son aval. C’est le cas des enlèvements et crimes crapuleux. Les exemples les plus éloquents seront les œuvres de Yoma Djouwa avec sa brigade rouge. Il finira par être mis hors d’état de nuire sous les ordres d’Eyadema lui-même. Bref, les méthodes pour réaliser le pouvoir à vie étaient variées d’un réseau à l’autre parfois contre l’ordre établi. A l’époque il fallait terroriser le peuple pour garder le pouvoir.
 
De nos jours, appauvrir un peuple pour lui rendre vulnérable
 
C’est une devise. L’exemple le plus élémentaire qui revient dans nos analyses est celui des salaires. A la naissance de la zone franche industrielle, les opérateurs économiques étrangers qui s’installaient étaient venus avec des grilles salariales alléchantes inspirées des autres pays où ils opèrent déjà. Mais ce sont les dirigeants qui leur feront savoir qu’avec de tels salaires, ils y a risque de déclencher une vague de revendications dans l’administration et avec les autres agents de l’Etat. Depuis, les différentes structures de zones franches sont devenues des pôles d’exploitation des Togolais. On se rappelle encore notre vie d’Etudiant. On était en l’an 2000, suite à une revendication acerbe, Eyadema a dû demander qu’on nous verse 4 mois d’arriérés de bourse, chaque boursier se retrouvait alors avec 85.000 CFA. Mais l’un des idéologues du régime, a renchéri du Balcon de Lomé II qu’ « avec un tel rappel de bourse nous seront incontrôlables». Finalement, un seul mois sera versé. Appauvrir les masses pour les garder dociles fait partie des stratégies de la gouvernance à vie et cette vile méthode s’est le plus rependue dans le monde des affaires.
 
Un environnement des affaires qui limite l’ambition
 
Les hommes d’affaires ne sont plus dans le besoin, mais il faut bien que le pouvoir politique encadre leurs ambitions. Du père en fils, l’environnement des affaires est conditionné. Il faut être un acquis au régime en place pour avoir une certaine fortune sur un compte bancaire. Le secret bancaire a disparu. Le Togolais n’est pas aussi nul que ça en affaires. Si l’environnement était tolérant, le périmètre des milliardaires et des gens qui se sont enrichis loin du monde politique, pouvait être bien considérable. On pouvait avoir des hommes et femmes d’affaires dont la fortune découle de la sueur saine de leur front plissé par le travail personnel, loin de la politique ou de l’environnement immédiat des dirigeants. Mais ils sont nombreux, ces hommes d’affaires qui se sont réveillés un petit matin avec de rocambolesques accusations de trafic, souvent de drogue ou d’armes. Par la magie des opérations barbouzes, d’honnêtes citoyens se retrouvent souvent avec des marchandises indésirables soit, à leur domicile soit dans leur bagage lors d’un voyage. Le temps de se rendre compte, ils sont encerclés pour des perquisitions qui finissent toujours par porter des fruits. Les plus chanceux traversent les frontières, les moins chanceux passent par la case de prison avant de s’exiler, s’ils sont récupérables.
 
L’environnement béninois
 
Nos investigations ont permis de découvrir, à la lecture des informations données par Pierre d’Alcantara Zocli, entre-temps président du Comité Spécial Transitoire de la CCIB, la Chambre de Commerce et d’Industrie du Bénin, qu’ « Il y a plus de 230 milliardaires au Bénin». Malheureusement, en dehors de quelques-uns dont la joie de proclamer leur richesse est irrépressible, la plupart d’entre eux se cachent, sont discrets, font même les morts. Certes, tous ces riches hommes et femmes au Bénin ne sont pas des créateurs géniaux avec des marques d’originalité créatrice dans l’expansion industrielle, commerciale ou entrepreneuriale. Certains y sont parvenus par la remorque de l’État. En termes de richesses naturelles le Bénin n’est pas mieux loti que notre pays. Dans certains pays africains, il y a des ressources comme le pétrole, le diamant, le café ou le cacao sur lesquelles les hommes d’affaires ont fait mains basses pour prétendre s’appeler DANGOTE ou autre chose. Mais un voisin pauvre comme le Bénin, dépourvus de matières premières, a eu de quoi fabriquer 230 milliardaires enregistrés à la chambre du commerce depuis 2012, que dire du Togo. Le Togo c’est 56.600km2 pour environ 7 millions d’âmes; le Bénin c’est 112.622 Km2 pour 10.008.749 habitant en 2013.
 
D’abord presque la moitié du voisin béninois, il regorge de la quatrième extraction de phosphate du monde, une des plus grands gisements de calcaire, il dispose du fer, l’or n’est plus une matière rare, selon les rapports de l’ITIE, le café, le cacao, le coton et les fruits ne sont pas indésirables pour les riches terres, l’unique port en eaux profondes de la sous-région est togolais. Bref, le Togo est de loin plus riche que le Bénin en ressources naturelles industrielles et de rentes. Mais au Togo, si on veut voir un milliardaire, il appartient bien au syndicat des travailleurs de la gestion de l’État, donc de la politique, tous se sont rabattus sur le verger de l’État pour fleurir. La pêche est désormais très maigre, tous les maillons clés de la gestion publique sont tombés, mais les requins, les barracudas et les bélougas de la pêche publique existent bien sauf qu’ils sont invisibles, peut-être sont-ils reconnaissables par la misère qu’ils rependent dans leur entourage. Eux-mêmes sont malheureux dans leur fortune comme si c’était un bien acquis par des pratiques sorcières. Comment de tels riches peuvent-ils combattre le chômage ? Contrairement au Bénin, au Togo, en dehors des étrangers dont on est sûr qu’ils n’auront pas d’ambitions politiques, les fils du pays qui émergent financièrement sans être dans l’orbite politique du pouvoir sont étouffés dans l’œuf. Pour une race au pouvoir qui pense que c’est un droit divin pour elle de diriger, pour éviter une concurrence politique et conserver son droit divin, elle se paie le vilain plaisir d’étouffer les talents dans le monde des affaires. On ne fait que la promotion du cercle fermé, ceux dont on est sûr qu’ils ne seront pas tentés par le fruit interdit, le pouvoir. Du coup, toute synergie parallèle est découragée.
L’histoire retient que bien avant la naissance de TOGO CELLULAIRE, une Société d’Etat à caractère commercial de droit privé, le 18 février 1998, il a existé une structure privée du nom de ATN. Présentement ses installations sont encore restées dans la zone portuaire à gauche après Cimtogo en allant vers Aného.
 
ATN devait être le premier opérateur privé à exploiter la téléphonie mobile avant Togocel. Mais alors que tout est déjà installé à coup de milliards, l’inauguration, donc l’octroi de la licence, n’aura jamais lieu. Les installations sont actuellement devenues des vestiges. Présentement d’autres hommes d’affaires togolais ont installé une unité de production de sérum pour alimenter les hôpitaux de la sous-région. Tout est installé mais le lancement se fait désirer, la licence n’est pas obtenue. Ce ne sont que des exemples pour dire que dans le monde des affaires le Togolais n’occupe pas la portion congrue mais savoir entreprendre, c’est une chose, profiter d’un environnement favorable en est une autre. Une race qui gère s’est vachement enrichie sous l’ombre des scandales financiers. Mais étant un bien mal acquis, ils ne peuvent pas réinvestir au pays. Leur expertise, c’est de trouver les meilleurs canaux pour faire dans l’évasion fiscale, dans le blanchiment. Ainsi, ils sont dans l’immobilier avec l’achat de terrains et immeubles, ils sont dans l’évasion des fonds détournés parfois par des canaux aussi variés que rocambolesque.
 
Il n’est pas rare qu’ils utilisent les circuits des grands importateurs, souvent des commerçants étrangers, pour faire sortir des sous vers les destinations ‘’sûres’’ au risque de se faire braquer à l’aéroport par d’autres réseaux parallèles. En 2015, un rapport de Global Financial Integrity (GFI) arrivait au constat que 9.233,5 milliards de F.CFA sont « illicitement » sortis du Togo entre 2002 et 2011. Des individus sont riches, parfois plus riches que l’Etat, mais ils cachent leur fortune et une fortune cachée ne profite à personne. Le monde des affaires est partagé entre les Libanais, les Chinois, quelques occidentaux et les communautés de l’Afrique du Nord, où se classent les Togolais ? Les quelques rares qui osent investir le font avec des prête-noms. C’est ainsi qu’ils se sont partagés, par exemple, le juteux monde du commerce des produits pétroliers à la pompe et les actions dans les entreprises privatisées. Au Togo, il n’y a pas d’affaires qui prospèrent indépendamment du bon vouloir des politiques, il faut forcement être tracté. Les riches parvenus qui végètent dans l’anonymat, si ce n’est dans le maquis, sont des hommes qui se sont entièrement faits avec la politique et qui reçoivent tout de l’État, des hommes et des femmes qui sont tout par l’État et rien sans l’État. Dans les pays voisins, comme le Bénin, pendant que la politique noie les talents ici, une génération d’hommes d’affaires a émergé en mine de rien.
 
Hommes d’affaires qui assument et occupent leur environnement
 
Au bénin, le pays est bondé de multi milliardaires qui s’affichent, qui s’affirment, qui, même si certains se sont initiés au biberon de la gestion publique, savent prendre leur envol en s’identifiant à des unités de production, à des initiatives privées porteuses qui emploient. Désormais, c’est à Paris que les hommes d’affaires béninois célèbrent les mariages dans des hôtels de grand standing. Ils ont des Jets privés et appartiennent au grand business mondial. La dernière présidentielle fut un choc entre candidats milliardaires, qui se sont construits en privés, qui ont des pans de populations qui vivent grâce à leurs initiatives. L’on nous dira que la drogue est passée par là. Oui, avant de séjourner au Bénin, elle a aussi passée au Togo et il est difficile de nous convaincre que présentement notre pays est un blanc saint quand on parle du trafic de stupéfiants. Dans le monde béninois, les magnas assument leurs engagements, ils pensent à se hisser le plus haut, mais aussi ils savent qu’ils ne peuvent y parvenir s’ils ne changent pas leur environnement. C’est ainsi que, Patrice Talon, homme d’affaires à l’ombre de Yayi Boni raflait déjà 15 des 18 usines d’égrenage du Bénin. Avant de se faire élire, il est copropriétaire au Benin des hôtels Novotel et Ibis en partenariat avec le groupe Accor. Ce n’est pas fini, le plus important port-sec du Benin a été implanté à Allada par le groupe Talon. Ancien actionnaire et administrateur de l’ex-continental Bank devenue Uba Benin, avant de briguer la magistrature, ses entreprises employaient au moins 5000 salariés, aucun salarié n’est en deçà de 100.000f CFA.
 
Sébastien Germain Adjavon, le maître du Congelé, jusqu’à un passé encore d’actualité, c’est l’autre espoir du monde des affaires. Le fondateur de la société Cajaf-Comon est spécialisé dans l’importation et la distribution de produits alimentaires, principalement de volaille surgelée. Fortune estimée à 100 milliards de francs CFA, il n’emploie pas moins de 2000 agents. Ce n’est que la face visible de l’iceberg avec la longue liste des hommes d’affaires du pays voisin. Le magazine Forbes, pour la première fois, a sorti son classement des hommes les plus riches en Afrique francophone.
 
Si la première place de ce classement est tenue par le Camerounais Baba Dampulo, il faut noter que Patrice Talon et Sébastien Ajavon, occupaient respectivement la 15e et la 17e place de ce classement avec des fortunes personnelles estimées à 400 et 350 millions de dollars. Voilà comment les voisins créent les richesses dans un environnement qui s’y prête. Le libéralisme économique n’est pas passé par Lomé, le régime en place, au nom de la conservation du pouvoir, n’a donné la chance à personne. Il faut être un initié, et même, les soi-disant initiés à qui on a tout donné se retrouvent de véritables pétards mouillés, des lâches qui ne sont qu’une espèce saprophyte au flanc d’un arbre qui tombera avec eux. Les vannes des finances publiques leur sont ouvertes, mais qu’en ont-ils fait ? Combien ont pu disposer des unités de production dans leur localité d’origine ou à la capitale ? Plus ils sont riches, plus leur environnement est pauvre.
 
Toujours malheureux envers eux-mêmes, leur seul réussite, c’est faire la fête, changer de voitures, se faire évacuer en Europe pour une migraine, arriver toujours au village en grande pompe pour faire l’important dans un océan de misère. Cette vie de méchanceté, elle a ses conséquences. Tu les vois trainer des maladies opportunistes, jamais en paix avec eux-mêmes, derrière une richesse insolente qu’on cache difficilement tantôt au pays, tantôt dans l’immobilier, le tout derrière un train de vie à la limite de l’arrogance. Parfois, ils en meurent. Le cas de ce défunt monsieur, cadre de la douane, dont la santé a périclité dès qu’une banque suisse lui a demandé de justifier ses entrées avant de récupérer les sept milliards qu’il y a épargnés. Pendant que ces fonds sont ainsi bloqués en Suisse, la succession de ce douanier se bat présentement pour le partage de l’héritage devant les tribunaux togolais. Les exemples sautent aux yeux. Nous avons connu aussi des familles dont les enfants ne sont pas parvenus, jusqu’ici, à s’entendre pour partager les milliards légués par le défunt père çà et là à travers le monde. Lors du procès Kpatcha, ainsi a-t-on pu retenir des déclarations d’un membre du rejeton d’Eyadema, officier de son état, que la division de la famille est liée à l’impossible partage de l’héritage.
 
Ils sont riches parce qu’ils peuvent se servir au dos des Togolais sous le couvert d’une impunité garantie, ils sont riches parce qu’ils ont été directeurs d’une société d’Etat qu’ils ont fait coulé. Ils font couler des sociétés où des milliards disparaissent, mais ces milliards disparus, à l’évidence, n’ont pas disparu pour tout le monde. Ils sont riches, mais combien parmi eux emploient 100 Togolais avec un salaire ? Ils sont riches parce qu’il leur a été donné l’occasion de voler tout simplement, mais que vaut un homme riche qui traîne à côté une moralité en dessous du seuil de pauvreté ? Actuellement, c’est eux qui ont envahi l’immobilier, les plus beaux immeubles, pour ainsi dire, les terrains les mieux situés dans la capitales et les autres villes où la terre prend de la valeur, c’est eux qui achètent. Quand le Togolais ordinaire se voit obligé de vendre son toit pour survivre, on a recours à eux et dans la moindre mesure, aux étrangers. Quand tu parcours le journal officiel, c’est toujours les mêmes noms qui reviennent comme citoyens ayant obtenus tel ou tel autre titre foncier. Ils ont envahi l’immobilier et partout le long des meilleurs axes routiers, l’on a des immeubles à louer sans preneur. Evidemment, il faut bien que l’économie marche avant que l’immobilier respire. D’ici peu, c’est d’ailleurs la crise immobilière qui va pointer le nez d’après nos investigations. Ils ont envahi tous les secteurs névralgiques de l’économie, ils sont partout et nulle part mais la grande majorité trime, l’Etat manque dangereusement de moyens. Les individus se sont enrichis, partout où l’Etat s’est endetté. Chaque année, les fonds qu’ils font sortir illicitement du pays sont plus élevés que le budget national.
 
Cette laide méthode qui consiste à appauvrir les masses pour garder éternellement le pouvoir, a accouché d’une nouvelle race de Togolais
 
Une race réfractaire au message de l’autorité publique, à ce qui symbolise l’Etat, une génération qui n’a aucune citoyenneté dans les veines, aucun sens de la Nation, une population résignée qui a des raisons de penser que, pour rêver, il faut se trouver un toit ailleurs. Ils sont alors nombreux, les jeunes, qui risquent l’exil et pour ceux qui appartiennent déjà à la diaspora, le retour n’est pas pour demain. Peu importe à quoi ressemble les affaires publiques, l’image du pays, peu importe s’il est évident que ça cartouche à chaque initiative, l’essentiel pour eux est de conserver leur pouvoir. L’idée que le pouvoir corrompt, n’est pas nouvelle. Lord Acton, historien et homme politique britannique, lançait la formule au XIXe siècle : « Le pouvoir tend à corrompre, le pouvoir absolu corrompt absolument». L’orgueil démesuré fait perdre pied, dans notre contexte l’environnement en est gorgé. La maladie du pouvoir est devenue, pour nos dirigeants, un feu qui consume l’âme. S’il existe une méthode qui permet de tenir le pouvoir à vie, elle est la bienvenue, peu importe les conséquences. Au Togo, on y va alors de toutes les méthodes, des plus civilisées au plus archaïques. Pour y parvenir, tous les alliés sont bons. La corruption est entretenue par les alliés de longue route. Ils sont alors les mêmes qu’on recycle. D’un scandale à l’autre, on les change de poste, de prérogatives. Au sommet de la République, la corruption n’a plus de concurrent parce que personne ne se porte bien. La grande partie, si ce n’est tout le monde, traîne les casseroles voire des cuisines
 
Toute corruption accouche du désordre
 
La corruption est très fertile ; elle a déjà enfanté du désordre. Ce désordre à son tour est incurable. Du coup, à lire les évènements, on se demande si l’on finit par entretenir le désordre pour prévenir le pire, bien entendu, le pire au Togo, c’est la perte du pouvoir. C’est dans ce contexte qu’il faut, par exemple, comprendre le désordre dans lequel des serviteurs éclaboussés de scandales non élucidés reviennent aux affaires. Est-ce par ce qu’ils se sont trop enrichis pour être mis hors du circuit sans contrôle au risque de nourrir des ambitions, est-ce parce que la République est en panne de compétences. Dans un cas ou dans l’autre, la République est à terre. Le régime fonctionne désormais comme un service de renseignement qui ne se débarrasse jamais totalement de ses serviteurs fidèles. Au sommet, ce n’est plus une dictature, mais une anarchie où personne n’a peur de personne. Chacun est maître sur son petit territoire. Faure a pu resauté son entourage, et les réseaux se regardent en chien de faïence, puis c’est lui qui tire le fruit de la division. Les dictateurs, c’est une race dont l’entourage a peur, certaines dérives ne sont pas possibles. Au Togo, beaucoup de départements d’Etat fonctionnent comme une fripe à ciel ouvert où les potentiels clients marchent sur une marchandise pour choisir une autre.
 
Tout le monde est témoin du désordre dans lequel Togotélécom s’est écroulé, tout le monde est témoin de comment le port autonome de Lomé est devenu une épave qui n’est plus bon que pour les trafics, tout le monde est témoin des scandales qui se relaient présentement à la CEET. S’il existe une réelle autorité morale qui impose une discipline, certaines choses ne seront plus possibles. Monsieur Faure Gnassingbé a malheureusement fabriqué des femmes et des hommes puissants, mais pas de femmes et des hommes d’Etat. Personne ne peut lever un petit doigt. Tout le monde sait observer le malaise mais personne n’est assez audacieux pour le dénoncer. Le prince héritier, incapable devant la mission restauratrice qu’il a promis en remplaçant son père, a abdiqué pour se plonger dans un souci disproportionné pour l’image et l’apparence, une confiance en son propre jugement et un mépris pour les conseils.
 
Plus le prince végète au pouvoir, plus la gestion des affaires est émaillée d’une certaine anarchie à demie teinte. Tous les jours, de nouveaux comportements éloignent monsieur le président de son pouvoir, mais il est déjà atteint de l’addiction. « L’addiction est en général liée à notre illusion de contrôle, or le pouvoir donne, par définition, le sentiment que l’on peut contrôler non seulement sa propre vie mais aussi celle des autres ! ». Est-ce que monsieur le président nous contrôle ?
 
Que faire pour limiter les dégâts?
 
Il est ancré dans la tête de la race dirigeante le fait qu’il ne peut exister une gestion de la République en dehors de leur cercle. Tout comme le maître des lieux, l’entourage est scotché à ce principe qui est le pouvoir à vie. L’addiction au pouvoir détruit les qualités mêmes qui ont permis à une personne d’obtenir son pouvoir. C’est alors que la sensibilité à l’intérêt commun, la clairvoyance, la vision, s’érodent. Si ces qualités existaient encore, monsieur le président aurait pu se rendre déjà à l’évidence que le pays navigue à vue. Pour limiter les dérapages, soient-ils psychologiques ou socio-politiques, il urge de renforcer les contre-pouvoirs. Il faut réfléchir à des institutions, des façons de gouverner qui pondèrent cette propension humaine à la démesure. Mais au Togo, les réformes institutionnelles et constitutionnelles qui devaient redéfinir ce cadre ne sont bonnes que pour la poubelle.
 
L’environnement dans lequel monsieur Faure exerce son pouvoir ne facilite pas ce schéma. Et pourtant, c’est lorsque le pouvoir est exercé dans le cadre strict de la démocratie, que la perfusion dans les veines de la présidence à vie et du sentiment d’un guide providentiel sont régulés. Mais quand on se retrouve en face d’une autorité à laquelle rien ne s’oppose, imaginez la suite ! A un stade d’addiction, comme au tour d’une bouteille, plus on avance, plus on a envie de durer au pouvoir et plus une perte de contact avec la réalité sur fond d’un isolement progressif s’installe. Nous y sommes. Ceux qui gèrent ce pays n’ont plus une appréciation juste de leur capacité. Or, plus vous avez une appréciation juste de vos qualités, plus vous êtes modestes, plus vous êtes modestes, moins vous vous sentez capables de diriger. Avec un peu de recul, on aperçoit des troubles de comportement typiques des chefs d’Etat accrocs à la présidence à vie, c’est juste un constat. Tout le monde sait seulement que ça avance, mais vers où ? Sans repère, comme pour narguer sa population, si elle existe, on finit par gérer un pouvoir extraverti. Ainsi passe-t-on le plus clair de son temps à l’extérieur, au pays les réalités s’enlisent, on compte sur les prêts et la dette extérieure pour construire le pays, les recettes publiques étant mises entre parenthèses par les intérêts de la bande. Sur un plan diplomatique, on envoie les meilleures lettres de condoléance à la première mouche qui se casse les pieds dans les pays étrangers, les Togolais peuvent mourir par douzaine dans l’indifférence. On finit par en fabriquer un chef de l’Etat qui est plus à l’aise hors de ses frontières qu’au pays. C’est un danger public que de percevoir de façon erronée quelque chose de rassurant dans l’expression de la confiance en soi grâce à une force qu’on croit être un acquis. Pire, aujourd’hui, le Togolais semble être en face d’un cas de figure où, ce qui compte pour les dirigeants n’est pas forcément d’avoir confiance en soi, mais de donner l’illusion de la confiance en attendant un miracle incertain. C’est bien le constat, mais que fait le Togolais pour lutter contre sa propre tendance à admirer ces comportements ? Il attend et observe, il vaut mieux vivre en paix même si on dit mourir dans l’humiliation.
 
source : Izotou Abi-Alfa/Le Rendez-Vous
 

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