Décentralisation et élections locales, voilà un débat vieux d’une décennie au moins. C’est depuis la prise des 22 engagements en avril 2004 par le gouvernement togolais devant l’Union européenne que la question est évoquée. L’opposition a beau mettre la pression et requérir l’enclenchement du processus et l’organisation des locales, rien n’y fit. Aujourd’hui cette question est presque reléguée dans les oubliettes. Au niveau des partenaires en développement, on ne lâche pas le morceau. Les ambassadeurs occidentaux ne cessent de réitérer les appels dans ce sens à chaque fois que l’occasion s’offre à eux. Mais le pouvoir reste impassible. Comme pour demander de faire une croix sur les élections locales au Togo.
Les appels des ambassadeurs européens
Les diplomates occidentaux accrédités dans notre pays ont fait du processus de décentralisation et des élections locales leur priorité, depuis leur abandon (sic) de la réclamation des réformes constitutionnelles et institutionnelles, lassés d’être tournés en bourrique par le pouvoir autiste de Lomé qui a même trouvé le moyen de contourner ses pressions en choisissant de financer désormais les élections sur fonds propres. Et à chaque fois que l’occasion le permet, ils n’hésitent pas à interpeller les gouvernants sur la nécessité d’organiser des élections locales pour l’enracinement de la démocratie à la base.
« (…) Il est nécessaire que le gouvernement donne un fort signal sur sa volonté de vouloir conduire le processus en toute transparence et dans des bons délais. La feuille de route de la décentralisation et des élections locales existante exige des reformes et ajustements qui nécessitent une décision politique palpable avec une communication empreinte d’indicateurs de progrès concret à atteindre étape par étape, afin que tous les acteurs puissent ressentir l’avancement du processus de la décentralisation », a réitéré l’ambassadeur de la République fédérale d’Allemagne, Christoph Sander, à l’occasion de la célébration de la 12e édition des journées nationales des communes du Togo organisée les 22 et 23 septembre derniers sur le thème « Décentralisation et développement local : contributions des Partenariats Publics-Privés », avisé du manque de volonté manifeste du pouvoir en place à accélérer le processus.
Même son de cloche chez le Chef de la Délégation de l’Union européenne, Nicolas Berlanga-Martinez. Le diplomate s’illustre d’ailleurs depuis quelque temps comme le défenseur suprême de cette cause. Lors de la précédente journée nationale des communes du Togo célébrée le 28 septembre 2015, il exhortait déjà le gouvernement et la classe politique à « progresser sur l’organisation des élections locales, s’engager publiquement sur une feuille de route vers ces élections dès que possible, s’attaquer dans les meilleurs délais sur les déficiences identifiées avec les Délégations spéciales dans un esprit d’ouverture et inclusive et allouer des moyens aux communes pour leur fonctionnement en utilisant le Fact, le Fonds d’appui aux collectivités locales ». Un appel tacite à l’accélération du processus.
On peut remonter loin le temps. Son prédécesseur Patrick Spirlet en avait fait une question prioritaire au crépuscule de son séjour au Togo. Dans un courrier daté du 17 septembre 2013 adressé au Premier ministre d’alors Arthème Ahoomey-Zunu, le diplomate avait attiré l’attention sur la nécessité de l’organisation des locales. Il croyait visiblement à la tenue imminente de ce scrutin, bluffé sans doute par les promesses des gouvernants togolais, et faisait part des démarches entreprises en partenariat avec le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) pour un éventuel appui au processus. « Suite à nos récents échanges, je souhaite vous faire part, par la présente, de l’état des réflexions que nous menons conjointement avec le PNUD sur un éventuel soutien au processus de préparation et de mise en œuvre des élections locales (…) Je pense qu’il est important, à la veille des élections locales, de tirer les leçons des dysfonctionnements et difficultés qui ont pu être observés durant les élections législatives, et de prendre en compte les recommandations émises par les différentes missions d’observation et d’expertise », écrivait-il.
Doit-on faire une croix sur les élections locales ?
La question sent un peu le fatalisme. Mais tout porte à croire que c’est à cette résolution que veut pousser le pouvoir qui fait preuve d’un manque ostentatoire de volonté de donner corps au processus de la décentralisation et d’organiser les locales. C’est le moins qu’on puisse dire. Et cela se remarque dans sa tergiversation sur ce chantier.
On le relevait tantôt, la tenue des locales était un engagement pris par l’Etat togolais le 14 avril 2004 à Bruxelles devant l’Union européenne, notamment le 1.6 : « Engagement d’organiser des élections locales, dans un délai de 12 mois, dans des conditions transparentes et en acceptant des observateurs à tous les stades du processus ». Mais le pouvoir n’a pas cru devoir respecter sa parole douze (12) bonnes années après.
Au-delà de l’obligation du respect de cet engagement, la nécessité de la décentralisation et des élections locales s’est fait sentir sur le terrain. Leur effectivité permettait le choix d’élus locaux, donnerait aux populations l’opportunité de se prendre elles-mêmes en charge et aura le mérite de permettre l’enracinement de la démocratie à la base, dans un pays où l’alternance au pouvoir constitue un épouvantail pour le régime. Mais au RPT/UNIR, on n’en a cure. Les interpellations de l’opposition et des autres forces vives de la Nation restent sans effet. Les appels et pressions des ambassadeurs occidentaux ne portent non plus de fruit. Si les gouvernants font semblant d’être réceptifs aux diplomates, ils ne font néanmoins rien pour accélérer le processus de décentralisation et organiser ce scrutin.
Sur le sujet, le régime évolue à son rythme, et en toute opacité. La classe politique était quelque peu contente lorsque le 29 mars dernier, après moult interpellations de l’opposition, notamment des courriers du chef de file de l’opposition, Faure Gnassingbé a rencontré les chefs traditionnels au Palais de la Présidence de la République pour leur parler décentralisation et élections locales. Cette rencontre avait suscité légitimement le courroux de l’opposition qui s’était sentie snobée, elle le premier partenaire du processus. Il était prévu une conférence à Paris le 12 avril 2016 sur le thème « Développement local et décentralisation au Togo : Pour quels avantages économiques ? ». Mais la rencontre a été ajournée au dernier pour des raisons inconnues. Et depuis, elle n’a plus été reprogrammée. Comme pour apaiser les cœurs, il fut promis par Faure Gnassingbé, dans son discours du 26 avril 2016, des concertations avec la classe politique sur la question. Mais rien à signaler de concret depuis cinq mois. Dieu sait si des concertations pareilles sont vraiment à son agenda. Même le document de la feuille de route de la décentralisation et des élections locales, on l’entoure d’un secret d’Etat et refuse de le donner au chef de file de l’opposition.
Le pouvoir se cache derrière l’alibi de la fixation d’un cadre légal, de la création des communes et de la dotation d’infrastructures avant toute élection locale. C’est ce qu’il faut entrevoir dans les propos du ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités locales, Payadowa Boukpessi : « (…) Les prochaines étapes, c’est la création de nouvelles communes par l’Assemblée nationale. Un projet de loi a été déposé et nous attendons le vote du Parlement pour ouvrir la voie d’autres étapes qui sont très importantes. Il s’agira de modifier la loi existante sur la décentralisation pour tenir compte des choix qui ont été opérés, il faudra également modifier les transferts de compétence pour les rendre plus simples et efficaces. Enfin, la population devra être informée le plus complètement possible sur les enjeux de la décentralisation, prélude à des élections locales. L’idée est de créer une centaine de communes. Il faudra ensuite les doter d’infrastructures afin qu’elles puissent être administrées par des élus municipaux ».
Il faut certes un cadre légal avant tout ; mais le hic, cela fait une éternité que le processus stagne. Le pouvoir ne se hâte nullement pour le boucler et organiser les locales. Preuve de cette mauvaise foi, la célérité avec laquelle les textes et instruments relatifs à la lutte contre la piraterie maritime ont été élaborés et adoptés. Le Code pénal devrait être modifié pour y insérer les infractions relatives à ce fléau…La mauvaise foi du régime par rapport à cette problématique de la décentralisation et des locales est manifeste.
Source : Tino Kossi, Liberté N°2287 du Jeudi 29 Septembre 2016 / 27avril.com