Togo : Evala / Blocage de l’administration


La région de la Kara, notamment la préfecture de la Kozah sera en fête, à la faveur de l’édition 2016 des Evala. Ce sera du 9 au 16 juillet. Les choses sérieuses démarrent demain donc, avec des empoignades dans une ambiance festive.
 
Caricature : Donisen Donald / Liberté
Caricature : Donisen Donald / Liberté


Aucun débat n’est possible sur la valeur culturelle de ce rite caractéristique du peuple kabyè et faisant partie du riche et varié patrimoine culturel du Togo. Mais, comme depuis plusieurs décennies, il y a une politisation outrancière et une quasi-nationalisation des Evala qui se manifestent par un traitement de faveur fait à ce rituel. L’un des dégâts collatéraux enregistrés à chaque fois, c’est la paralysie de l’administration et donc de la gestion du pays durant cette fête.
 
Valeur culturelle certaine…
 
Pris dans sa conception traditionnelle, le rite traditionnel Evala est d’une valeur culturelle non contestable. C’est un cérémonial qui ouvre les portes de la maturité au jeune kabyè. Evala, c’est le passage de l’adolescence à l’âge adulte pour le jeune kabyè de 18 ans. L’initiation est un long processus qui dure huit bonnes années.
 
Au bout de trois ans faits de certains rituels et de consommation de la viande du chien, le jeune initié a l’autorisation de se marier. Il a même la permission de le faire dès la première année d’initiation et continuer la lutte, mais il lui est interdit de consommer la viande du chien. Ce qui est recherché chez le jeune lutteur, c’est de prouver sa bravoure, son courage et sa force, car toute victoire fait sa fierté, mais aussi honore ses parents et les habitants de tout le village ou du canton dont il est originaire. De sa place dans la société, dépend l’issue de la lutte.
 
A en croire les sources bien référencées dans ces pratiques, les vainqueurs ont droit à la parole dans une assemblée avant les vaincus, jouissent de certains privilèges comme se faire servir à boire ou à manger avant les vaincus durant tout le reste de leur vie. Les jeunes kabyès non initiés n’ont aucune place dans les groupes sociaux. A leur décès, ils sont soumis à ce rite avant leur inhumation. Il nous revient qu’en pays kabyè, les diplômes et le rang social acquis sur la base des études ou de la fortune n’ont aucune signification ; c’est le rang occupé dans les luttes Evala qui confère un rang social à l’homme.
 
…mais politisation malheureuse, nationalisation des Evala
 
Il est constant qu’aucune culture n’est au-dessus de l’autre, toutes se valent. Rapporté au cas togolais, c’est dire que D’pontre, Agbogbozan, Ovazu, Epe-Ekpe (même avec les lancées de pierres) et autres se valent. Mais c’est le contraire que prouve le pouvoir des Gnassingbé depuis plusieurs décennies. Evala est érigé au rang de la première et/ou seule fête culturelle au Togo, voire au statut de fête nationale. Tout le Togo peut s’arrêter de fonctionner à cause de ces luttes, tout l’exécutif, les chefs des services et sociétés étatiques et même les chefs traditionnels des autres régions convergent sur la Kozah, pour le plaisir du Prince.
 
Tout avait commencé avec le père. Les Evala étaient presque sacralisées et entourées de tous les soins possibles. Lui-même il assistait aux empoignades de bout en bout, et pendant toute la semaine que ces luttes durent, c’était le seul sujet au cours des journaux télévisés sur la TVT consignée pour les besoins de la cause. Et même après les éditions d’informations, les luttes étaient passées durant un bon bout de temps. Même avec le fils qu’on dit avoir une tête bien faite et bien pleine, la donne n’a guère changé.
 
Faure Gnassingbé circule d’arène en arène pour assister aux empoignades ; et c’est le même traitement médiatique qui en est fait. Alors qu’il passe chaque année toute une semaine dans la Kozah pour les Evala, il n’a malheureusement pas le temps de faire acte de présence lors des fêtes des autres peuplades du Togo, ne serait-ce que quelques minutes. Il se fait souvent représenter, soit par le Premier ministre, soit par un (simple) ministre. Cela fait des années qu’on dénonce cette discrimination entretenue au sommet même de l’Etat, mais cela n’émeut guère les dirigeants de notre pays.
 
Dans cette dynamique d’érection des Evala au rang de « La » fête culturelle nationale, tous les moyens sont investis pour sa réussite, aussi bien en termes de logistiques que de finances. Les sociétés d’Etat sont mises à contribution. Durant plusieurs éditions, Togo Telecom et autres sociétés ont mis la main à la pâte et habillé les lutteurs. Et la donne ne devrait pas changer.
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Caricature : Donisen Donald / Liberté

 
Pour l’édition de cette année, même des institutions internationales sont embarquées. C’est ainsi que la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest (CEDEAO) a fait don lundi dernier au comité d’organisation d’un important lot de matériels sportifs et didactiques composé de 300 shorts, 300 casquettes et 500 t-shirts. A en croire les responsables de l’institution, il s’agit d’accompagner le gouvernement togolais dans la promotion des valeurs culturelles au Togo. « Tout ce qui a trait à la promotion et au respect des us et coutumes doit être le leitmotiv de la CEDEAO. Nous avons tendance à être une institution des Etats en lieu et place des peuples. Aujourd’hui, c’est les peuples qui sont essentiellement visés », a martelé l’ambassadeur Garba Lompo, son Représentant-résident.
 
En tout cas les Evala bénéficient de privilèges que n’a aucune autre fête culturelle des dizaines d’ethnies que compte le Togo.
 
Blocage de l’administration
 
C’est ce qui illustre le plus la nationalisation des Evala et leur érection au rang de l’unique fête traditionnelle au Togo. C’est un secret de Polichinelle, les périodes de ces luttes sont des moments par excellence d’absentéisme au bureau, de blocage de l’administration, d’arrêt du fonctionnement normal du pays. Et cela se comprend aisément. Du sommet jusqu’à la base, on est embarqué par cette fête.
 
On l’effleurait tantôt, Faure Gnassingbé se voit obligé de suivre les empoignades de bout en bout. Durant toute la semaine qu’ont lieu ces luttes, il se promène de canton en canton, tantôt par hélicoptère, tantôt à voiture, afin d’y assister. Et tous les membres du gouvernement presqu’au complet, originaires du milieu ou non, se replient sur la Kozah et l’accompagnent dans ses déplacements. A côté, il y a les directeurs des différents services publics et sociétés d’Etat qui ne se font pas compter les événements. Tout porte à croire à une consigne donnée à tous d’être présents, au risque de se voir enlever le pain de la bouche. Mais selon les sources, il n’en est rien, c’est généralement par zèle et juste par souci de plaire au Prince qu’ils se donnent toute cette peine.
 
C’est aussi le moment pour les collaborateurs et employés de vider les bureaux pour rallier la Kozah ou simplement s’absenter. Il suffit de prétexter des Evala pour se justifier. D’ailleurs gare à ce ministre, directeur ou tout autre responsable qui voudra sévir contre un collaborateur ou un agent qui argue de cette fête pour s’absenter, car il risque d’être mal vu et de récolter les pots cassés. La plupart des fonctionnaires natifs du milieu ne se font surtout pas conter les événements. Si la fête ne dure qu’une semaine, nombre d’entre eux s’absentent des bureaux durant beaucoup plus de temps.
 
Voilà le triste spectacle auquel on assiste chaque année au mois de juillet à l’occasion des Evala. Et évidemment comme effet ou dégât collatéral, toute l’administration est bloquée. Il n’est pas rare de s’entendre cracher à la figure par une secrétaire qui vous dévisage à peine : « Le Directeur est en mission, revenez la semaine prochaine ». Cette pratique nuisible à la rentabilité de l’administration et à son efficacité constitue évidemment un frein au développement et est dénoncée depuis des lustres ; mais les gouvernants n’en ont cure malgré tous les discours mirifiques qu’ils tiennent. Elle aura encore lieu au cours de l’édition de cette année. Ici, c’est Togo.
 
Source : Tino Kossi, Liberté
 

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