Togo, Faure Gnassingbé : Mode opératoire d’un machiavel qui se trahit. Subtiles révélations.


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Arrivé au pouvoir à la suite de massacres massifs et de fraudes électorales et dans des conditions qu’il a lui-même qualifié d’ «épouvantables », Faure Gnassingbé a d’abord créé la gouvernance des copains avec ses amis d’enfance et du Collège catholique Chaminade (Fernand Tchamsi, Charles Takou et Kokouvi Dogbé…) avant de passer à celle des technocrates sous le règne Houngbo, excellent premier ministre qui sera remercié en monnaie de singe.
  
Depuis, une méthode hybride s’installe avec une base familiale importante, un relai de copines et maîtresses et le retour des anciens. Et a pour colonne vertébrale une armée clanique sans laquelle le régime aurait changé de mains. Quelle est la méthode de Faure Gnassingbé ? Comment gouverne-t-il ? Quels réseaux lui imposent ses collaborateurs ? Quelle est sa stratégie personnelle ? Comment, depuis, sa ruse et ses machinations se retournent contre lui ? Décryptage d’un machiavélisme tropical dont le président togolais est acteur et metteur en scène !
 
Décor ! Ingrid Awadé est l’une des intimes « copines » du président togolais. Après un simulacre de traversée du désert, elle a été plébiscitée fin mars à la tête d’une importante régie financière, la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS). Cina et Sonia Lawson (sœurs germaines) sont deux de ses rivales, charmantes filles de la rusée Da Collette (qui sut, mieux que quiconque dans l’histoire récente du Togo, rallier couilles et magouilles au sommet de l’Etat) et du discret capitaine Lawson. La Segim est la nébuleuse société immobilière créée pour venir au secours de la CNSS en faillite de plus de 120 milliards et qui se révèle être la trouvaille pour Jean Daniel Setho, président de la Commission de privatisation des banques, Mey Gnassingbé, frère cadet et chargé de mission du président de la République et l’éternel Barry Moussa Barqué (BMB pour Faure Gnassingbé), proche du président et puissantissime conseiller sans échelles avec rang de Ministre d’Etat à vie. Amiral Adégnon cumule depuis plus d’une demi-décennie la direction du Port avec la Mairie de Lomé, la capitale. Ahialé Mawuli, président de Wacem (cimenterie) et proche de Sabine Mensah, mère du président, est l’homme à faire de l’argent et à fructifier les intérêts du président. Il est de toutes les combines et sociétés juteuses de la République. Otèth Ayassor est un ancien ministre des finances qui, acculé par des scandales répétitifs a été limogé puis rapidement promu conseiller et directeur général d’une importante société africaine à Lomé. Ninsao Gnofam. Grand voleur de la République devant l’Eternel Ministres des travaux publics, il a fait des marchés gré à gré son eucharistie et des détournements de fonds son serment. Ce jeune franc maçon arriviste et opportuniste accumule comme il peut pots-de-vin et milliards perdus. Malgré les dénonciations de la presse locale, il semble jusqu’alors intouchable.
 
Le mélange de genre qui agace
 
Sonia Lawson. De la beauté, elle est le spécimen le plus réussi. Le charme en plus et l’élégance en cerise. De quoi « couiller », sous les tropiques, du président. Ingrid Awadé n’oubliera jamais sa colère de ce vendredi soir quand ses espions dans les renseignements lui ont filé l’information. Sonia a obtenu, gré à gré 6 milliards auprès du chef de l’État pour la réhabilitation du Musée nationale du Togo. Depuis, après avoir obtenu la gestion, par société fantoche, de l’hôtel Sarakawa, elle serait en convalescence psychiatrique car elle aurait pété un plomb. Juste une simulation pour se mettre à l’abri et bouffer sa cagnotte selon ses détracteurs. Mais dans sa famille, on couille du président de mère en fille. Da Collette, sa mère n’a lâché Eyadema que quand le trépas s’est emparé de l’ancien dictateur togolais. Son autre sœur, Cina (Ministre de l’économie numérique) tient comme fer les derniers fantasmes d’un président qui n’en manque que rarement. Des Essaw, il est devenu fou. Pesseli, Clarisse épouse Bidamon ou Ninie, aucune n’échappe à la passion présidentielle. Alors que Ninie Essaw, nièce de Badagnaki, l’autre femme de Eyadema et filleule de Da Colltte est mère de trois de la vaste et éclectique progéniture du président Faure. Au cœur du pouvoir, Victoire Dogbé, à la fois ministre du développement à la base et redoutée directrice de cabinet prend sa revanche sur Ingrid Awadé en installant, stratégiquement dans les recoins exceptionnels de la République ses pions. C’est avec elle que dirige le président, au quotidien. Quand elle semble défaillante sur un aspect, la mère du président prend la relève. Madame Mensah n’a pas que son « mec » à la tête du Port autonome de Lomé ou la Mairie de Lomé. Elle pistonne qui elle veut, jusqu’à la cime du pouvoir. Gilbert Bawara, impénitent ministre que la disgrâce a tôt fait de rattraper a su compter sur son absolution pour revenir dans le cercle restreint des notables. Sessenou, ministre de l’urbanisme sait compter sur elle pour ses petits montages maison d’autant que « maman » saura compter sur lui, en retour, pour continuer à acquérir des centaines de terrains sur toute l’étendue du territoire. Grâce à son appui, Ahialé Mawuli est devenu l’homme à tout faire de son fils qui, malgré les scandales de Panama papers dont il est la pierre angulaire, n’a pas perdu un seul iota de son pouvoir. Bien au contraire, alors que l’AGET (Association des grandes entreprises du Togo) qu’il préside devrait se rallier au Patronat, il a insisté, avec le soutien de « Maman » à la maintenir à part, comme une entité de l’économie nationale avec laquelle il entend mener sa guerre qui ne fait que commencer alors que logiquement, les dernières élections au patronat devraient ouvrir la voie au rassemblement. Par la douce indulgence de « maman », Kodjo Adédzé pourrait, après un bref intérim, prendre définitivement la tête de l’OTR (Office togolais des recettes) d’où a été chassé le rwandais Gapéri il y a quelques semaines.
 
Cette gouvernance du népotisme qui piétine le mérite et la compétence crée, plus que des rancœurs, des frustrations notamment dans le camp présidentiel. Cette politique de la promiscuité intimiste si ce n’est « intimant » commence par agacer d’autant qu’après plus d’une décennie de règne Faure à la tête du Togo, le pays continue de se chercher au gré des humeurs du président ou de ceux dont il a fait les indéboulonnables fondés de pouvoir. Le mélange de genre entre intimité et République met progressivement en danger non seulement le président mais aussi tout son système. Un système dont il est le seul et unique architecte. Dans l’entourage du chef de l’Etat, il y a très peu de personnes qui comprennent et partagent sa vision d’autant qu’il n’en parle presque jamais. Usant du mystère qui plane autour de la supposée vision pour monter les uns contre les autres et surtout, utiliser les plus loyaux comme boucliers contre les coups bas qui minent son palais.
 
Le ping-pong de pillage en cercle restreint
 
Segim. Elle résume à elle seule la délinquance financière au sommet de l’Etat. Créée pour sauver la CNSS en vertigineuse faillite, elle a été prise en étau par Koffi Walla, Jean daniel Setho, Moussa Barqué et Mey Gnassingbé qui, à quatre, en détiennent plus de 51% contre toute logique et surtout, contre l’avis de la Cour des comptes. Comment une société publique peut-elle être prise en contrôle par des proches du chef de l’Etat d’autant que cette société a pour vocation de sauver une caisse en panne ? Finalement, la Segim a regroupé les rares filières qui prospères et permet au carré voyou, grâce à quelques montages, de s’en mettre plein la poche pendant que la génération active peut être sûre de ne pas avoir une retraite garantie si le système continue.
 
Les deux banques qui sont dans le giron de l’Etat, l’Union togolaise de banque (UTB) et la Banque togolaise du commerce et de l’industrie (BTCI) sont en procédure urgente de privatisation alors qu’elles sont censées être en bonne forme économique ? Parce qu’ayant permis au régime d’arrondir ses fins de mois douloureux, ses banques ne peuvent plus tenir malgré la récupération de parts importantes appartenant à Kpatcha Gnassingbé, frère cadet du président jeté en prison dans une rocambolesque affaire de coup d’Etat. La société des phosphates, principale ressource minière du pays a été mise à genoux par de calamiteuses gestions successives avant d’être décapitée par Ferdinand Maganawè qui sera promu ministre puis actuellement secrétaire général du gouvernement. Togo Télécom qui, au début des années 1990 ne comptait que 8.000 abonnés avec une réserve de plus de plus de 15 milliards compte aujourd’hui 800.000 abonnés et s’affaisse lentement sous le poids des 100 milliards de dette que Bikassam lui a accrochés au cou et qui n’ont , en rien, jamais empêché l’ancien directeur général de la société de téléphonie de pouvoir rencontrer, quand il le veut, le chef de l’Etat comme une onction à l’impunité. Cette société qui, jusqu’au début des années 2000 était la principale pourvoyeuse au budget de l’Etat a progressivement été décimée sous le règne de Faure Gnassingbé parce que, selon des indiscrétions de son ancien directeur, les réserves ont servi à alimenter des fonds de campagne et à offrir des facilités aux maîtresses réelles et/ou supposées du président de la République. Togocel ne tient, quant à lui, que grâce à la perspicacité de sa direction mais aussi et surtout, au monopole qu’elle crée face à son unique concurrent, Moov et le coût exorbitant de la communication, la plus onéreuse en intra-réseaux (appels nationaux) de l’espace Uemoa. Le Port a perdu toute compétitivité, les clients immigrant vers Cotonou et Accra, à cause du manque d’innovation et d’attractivité créée par l’usure qui, chez Adégnon, castre toute inventivité. Limogé de la tête du ministère de l’économie et des finances, Adji Otèth Ayassor qui ironise sur le fait qu’il ne bouffe jamais rien seul (laissant entendre une complicité avec le chef de l’Etat) vient d’être nommé directeur général de la Société africaine des hydrocarbures basée à Lomé alors qu’aucun ministre n’est aussi riche et aussi puissant que Ninsao Gnofam des travaux publics que ses multiples scandales financiers n’ont pas réussi à déboulonner comme si le pillage a la bénédiction du président, tant qu’il se déroule en cercle restreint.
 
La périlleuse stratégie qui couve l’explosion
 
Faure Gnassingbé a, malgré tout, suscité de l’espoir au début de son règne. Mais toutes ses promesses sont restées des reliques muettes d’un régime qui n’a plus d’ambition. La réforme du foncier est restée caduque alors que la loi actuelle date de 1906 sous colonie allemande. Ce qui empêche l’Etat de construire des logements sociaux bien que des entreprises soient prêtes à l’y accompagner. Un état de choses qui impose aux fonctionnaires togolais de colossales dettes aux taux excessifs pour construire une maison. Depuis son arrivée au pouvoir, Faure Gnassingbé n’a construit aucun grand hôpital ni université de renom, ni même un centre économique stratégique. Quand vous avez un AVC à Kara, bastion du régime et principale ville du septentrion, vous n’avez que le choix entre le mouroir du CHU ou la morgue vieillissante de l’hôpital chinois. Comme si au désespoir, doit succéder le fatalisme dans un pays au potentiel inestimable. Quel gâchis !
 
Comment, contrairement à son feu père, Faure Gnassingbé a monté son équipe avec des résidus de l’ancien régime au lieu de se choisir des collaborateurs modernes et bien formés au sein de sa génération qui en compte pourtant pas mal ? Pourquoi ce recours permanent aux anciens et ce cirque de tour de chaises dont il a fait sa marque de fabrique en ramenant sans cesse les mêmes ? Pourquoi une phobie de la compétence et une peur d’enclencher la révolution qui réajustera à jamais son système sur des perspectives d’avenir ? Pourquoi cette obstination à flouer les siens et à donner l’impression d’être en permanence d’accord avec tout le monde et jamais en désaccord avec qui que ce soit, fut-il le pire torpilleur de ce qu’il aurait réussi à construire en 12 ans de règne ? Comment, malgré les atouts dont il dispose, le président togolais n’a réussi qu’à essouffler tout espoir au point de ne plus faire rêver ? Comment a-t-il pu passer de jeune président moderne et audacieux des années 2006 au minable héritier du long règne de son feu père pour n’en être plus que la triste continuité au point de faire regretter dans la mémoire collective Gnassingbé Eyadema ?
 
S’il continue, Faure Gnassingbé risque d’être lâché par les siens en premier lieu. Mais le président compte sur une armée « domicile » dirigée par Félix Kadanga, unique général en fonction au Togo et mari de Babanam, l’autre sœur du président. En permanente autarcie, il s’éloigne de plus en plus de son peuple et liquide un à un, ceux de ses proches qui lui sont encore loyaux sur l’autel des exigences de réseaux qui le manipulent. Comme si la déchéance chronique enclenchée depuis quelques années ne s’arrêtera plus. Mais le président peut encore quelque chose. Lancer un pôle économique qui maintienne le pays sur la voie de la prospérité et surtout, passer à un nouveau gouvernement qui soit celui de la compétence en donnant une retraite anticipée à « ses femmes » qui ne cessent de se battre autour de lui et surtout, en annonçant sans ambiguïté qu’il ne briguera pas un 4e mandat en 2020. « Si je le dis, je risque d’être neutralisé dans l’immédiat » avait-il confié à l’auteur de ces lignes lors d’une audience il y a quelques années. Sauf qu’il n’aura plus le choix, à moins de prendre le risque des pires issues.
 
Source :[15/04/2017] Max-Savi Carmel, Afrika Inter / 27avril.com
 

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