Togo : Un rapport d’enquête épingle la Société financière internationale et Lomé Container Terminal


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« La SFI n’a pas pris en compte les « impacts historiques, sociaux ou environnementaux importants » associés au projet »

 
Le CAO (Bureau du Conseiller-médiateur pour l’application des directives « Compliance Advisor Ombudsman, CAO ») a pour mission d’être un mécanisme de recours et de responsabilisation juste, fiable, efficace et indépendant, et d’améliorer les performances environnementales et sociales de la Société financière internationale (SFI) et l’Agence multilatérale de garantie des investissements (MIGA), organes du Groupe de la Banque mondiale. Il est un organe indépendant agissant sous l’autorité directe du président du Groupe de la Banque mondiale.
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Le CAO examine les plaintes déposées par les communautés touchées par les projets de développement entrepris par les deux organes privés du Groupe de la Banque mondiale. La fonction de conformité du CAO consiste à superviser des investigations sur la performance environnementale et sociale de SFI/MIGA, particulièrement dans le cadre de projets controversés, pour garantir que la SFI et MIGA agissent conformément aux politiques, normes, directives et conditions en vigueur, dans le but d’améliorer la performance environnementale et sociale de la SFI et MIGA. Et c’est dans ce cadre que le CAO vient de publier ledit rapport.
 
C’est suite à une plainte déposée en mars 2015 auprès du CAO par le « Collectif des personnes victimes d’érosion côtière » (« le Collectif »), un groupe d’habitants vivant à l’est du port de Lomé et déclarant subir des répercussions négatives du projet. Les plaignants affirment que le projet est un facteur d’accélération de l’érosion côtière qui touche leurs communautés. Sont également soulevées des questions relatives à l’étude d’impact environnemental et social (EIES) du projet. Par ailleurs, les plaignants se déclarent insatisfaits des résultats de réunions qu’ils ont tenues avec le bureau de la Banque mondiale à Lomé en 2014.
 
Dans ce rapport, le CAO a relevé un certain nombre de non-conformités dans les processus d’instruction et de supervision du projet LCT par la SFI, particulièrement en ce qui concerne : (a) l’identification et la gestion des risques et impacts potentiels du projet sur l’érosion côtière, et (b) l’implication des parties prenantes autour de ces problématiques. Lecture.
 
Enquête du CAO sur la Performance Environnementale et Sociale de la SFI relative à son Investissement dans Lomé Container Terminal (LCT), Togo
 
Résumé
 
Ce rapport présente les conclusions de l’enquête du Conseiller-médiateur pour l’application des directives (CAO) relative à l’investissement de la SFI dans Lomé Container Terminal (LCT) au Togo. Une concession a été accordée à LCT par le Gouvernement du Togo pour aménager, construire et faire fonctionner un terminal à conteneurs de transbordement sur un site vierge au sein du Port de Lomé au Togo. Les travaux de construction ont commencé en 2012 et le terminal est opérationnel depuis Octobre 2014.
 
La SFI a approuvé un investissement dans LCT en janvier 2011. La SFI a initialement investi 82,5 millions € en financement par emprunt pour compte propre, et a mobilisé la balance de 142,5 millions € auprès d’autres bailleurs de fonds. Un investissement complémentaire de 10 millions € a été approuvé en août 2015.
 
En mars 2015, une plainte a été déposée auprès du CAO par le « Collectif des personnes victimes d’érosion côtière » (« le Collectif »), représentant un groupe d’habitants vivant à l’est du port et déclarant subir des répercussions négatives du projet. Les plaignants affirment que le projet est un facteur d’accélération de l’érosion côtière qui touche leurs communautés. Sont également soulevées des questions relatives à l’étude d’impact environnemental et social (EIES) du projet. Par ailleurs, les plaignants se déclarent insatisfaits des résultats de réunions qu’ils ont tenues avec le bureau de la Banque mondiale à Lomé en 2014.
 
Contexte historique
 
Le Togo connait un problème d’érosion côtière depuis plusieurs décennies. Il est reconnu que ce phénomène est une conséquence directe de plusieurs facteurs, notamment des aménagements majeurs d’infrastructures réalisés entre 1960 et 1967, comme le barrage d’Akosombo sur le fleuve Volta au Ghana et la construction du port de Lomé, qui ont profondément modifié la dynamique sédimentaire dans le golfe de Guinée. Les impacts sont visibles depuis la côte est du Ghana jusqu’au Bénin, y compris sur l’ensemble du littoral togolais. Il est reconnu que d’autres facteurs, comme des événements naturels exceptionnels et le changement climatique, ainsi que la géomorphologie propre au littoral, contribuent à l’érosion côtière. Au cours des dix dernières années, le Gouvernement du Togo a élaboré une démarche nationale en réponse à la problématique de l’érosion côtière.
 
Un brise-lames mesurant 1,7 km a été aménagé dans l’océan dans le cadre de la construction du nouveau port de Lomé entre 1964 et 1967. Ce brise-lames a considérablement affecté le drainage sédimentaire sur le littoral, créé une zone d’accumulation de sable à l’ouest du port et entrainé une érosion côtière à l’est. Cette zone d’érosion mesure environ 40 km à l’est du port.
 
Un certain nombre d’études reconnaissent que l’érosion côtière menace considérablement les communautés locales vulnérables, et plus généralement le développement économique du pays. Le littoral est habité par des communautés qui s’y sont installées depuis des décennies, mais cette population s’accroit rapidement dans une zone circonscrite. Cette croissance des populations côtières a été accélérée par de vastes mouvements migratoires de l’intérieur du pays vers les villages et les villes du littoral.
 
Méthodologie de l’enquête de conformité
 
De janvier à mai 2016, l’équipe d’enquête du CAO, notamment le personnel du CAO et des spécialistes indépendants, a étudié la documentation de la SFI sur l’investissement, recueilli des informations en interviewant le personnel de la SFI ayant une connaissance directe du projet ou y ayant des responsabilités, et a recueilli des informations lors d’une visite sur le terrain à Lomé, Togo. Des entretiens ont été menés en personne et par téléphone. Des sources d’information secondaires pertinentes ont été trouvées en faisant des recherches sur Internet, ou ont été fournies par certaines personnes interviewées.
 
Tel que mentionné dans les Termes de Référence de l’enquête, le CAO a pour objectif de répondre spécifiquement aux questions suivantes :
 
. L’examen de la consultation communautaire au cours du processus d’EIES effectué par la SFI a-t-il été satisfaisant, en particulier en ce qui concerne les communautés représentées par les plaignants ?
 
. La supervision par la SFI du suivi effectué par le client quant au risque d’érosion côtière pendant et après la construction a-t-elle été adéquate, particulièrement après avoir pris connaissance des préoccupations des plaignants ?
 
Résumé de l’Analyse et des Conclusions du CAO
 
Revue E&S du projet par la SFI

 
– Revue de l’évaluation E&S du client
 
Le CAO constate que la revue E&S de la SFI n’a pas identifié l’érosion côtière comme un risque E&S du projet, bien que l’EIES : (a) reconnait que le projet pourrait avoir un impact sur l’érosion pendant la construction, et (b) décrit l’historique de l’érosion côtière depuis la construction du port dans les années 1960. Reconnaissant que l’érosion se produit depuis longtemps dans la région, le CAO conclut cependant que la SFI n’a pas pris en compte « impacts historiques, sociaux ou environnementaux importants » associés au projet, et n’a pas « travaillé en collaboration avec son client à la définition de mesures de correction possibles » comme l’exige la Politique de durabilité de 2006 (para. 13).
 
De plus, le CAO conclut que les exigences de PS1 relatives à l’évaluation des impacts cumulés s’appliquaient et auraient dû être traitées explicitement dans la revue E&S de la SFI. Au cours de ce processus consistant à identifier les risques et impacts environnementaux et sociaux, une évaluation des impacts cumulés aurait (a) reconnu que le projet peut accroitre les impacts cumulés sur des éléments environnementaux et sociaux de valeur, sur lesquels d’autres aménagements existants ou futurs auraient des répercussions néfastes ; et (b) évité et/ou réduit au minimum ces impacts autant que possible. Ce processus se serait déroulé en consultation avec les communautés et les parties prenantes touchées, et aurait permis d’élaborer des plans de gestion des impacts cumulés, des indicateurs de suivi appropriés et des mécanismes efficaces de supervision.
 
Le CAO constate aussi que la SFI n’a pas examiné les qualifications et l’expérience des consultants qui ont préparé l’EIES, ni la méthodologie utilisée pour évaluer les potentiels impacts du projet sur l’érosion côtière. Au lieu de cela, la SFI s’est fondée sur la présence internationale du cabinet de conseil ainsi que son expérience passée avec le Port de Lomé. Sur cette base, et étant donné les résultats de l’étude technique de l’EIES commanditée par le CAO dans le cadre de cette enquête, le CAO conclut que la SFI ne s’est pas assuré que l’EIES constituait une « adéquate, exacte et objective, réalisée par des personnes qualifiées et expérimentées », comme l’exige PS1 (para. 7).
 
Étant donné ces lacunes, le CAO conclut que la revue E&S du projet conduite par la SFI ne s’est pas conformée aux exigences de la Politique de durabilité de 2006.
 
– Divulgation et consultation
 
Le CAO constate que la revue par la SFI du processus de divulgation d’information et consultation du client a été centrée sur les deux groupes qui ont été économiquement ou matériellement déplacés par le projet (ramasseurs de sable et maraichers). La SFI n’a pas vérifié si les informations ont effectivement été diffusées par le client aux autres communautés susceptibles d’être touchées, conformément aux exigences de PS1. Bien que l’EIES ait décelé des impacts potentiels sur l’érosion pendant la phase de construction, la SFI ne n’est pas assurée que les activités de consultation menées par le client s’adressent aux communautés qui vivent dans la zone d’érosion à l’est du port et sont susceptibles d’être affectées. Et ce, malgré le fait que ces groupes étaient situés dans la zone d’influence directe du projet (1,5 km à l’est du port) et dans la zone élargie d’influence, selon la définition donnée dans l’EIES. Bien que, selon la documentation de la SFI, la disponibilité des documents du projet ait été annoncée dans un journal local, le CAO considère que ceci ne suffisait pas à garantir la conformité aux exigences de PS1 en matière de divulgation d’information et de consultations auprès des communautés. Plus particulièrement, ceci ne satisfait pas l’obligation de faire en sorte que la consultation soit « exécuté[e] de façon exhaustive et culturellement appropriée » (para. 21).
 
Le CAO constate que le manque de consultation et de divulgation des informations aux communautés vivant dans la zone d’influence ne satisfait pas l’obligation énoncée dans le PS1 de la SFI et visant à garantir la tenue d’un processus de consultation auprès des communautés « [pouvant] être soumises à des risques ou des impacts négatifs d’un projet … de manière à leur offrir la possibilité d’exprimer leurs opinions sur les risques, impacts et mesures d’atténuation du projet et à permettre au client de les étudier et d’y réagir » (para. 21). Selon l’explication donnée par la SFI au CAO, la SFI a estimé qu’il n’était pas nécessaire de consulter ces communautés parce qu’aucun impact n’a été anticipé à l’est du port. Cependant, le CAO constate que les communautés situées dans la zone d’influence à l’est du port auraient dû être consultées, que des impacts significatifs aient été anticipés ou pas.
 
– Plan d’Action
 
Le CAO constate que l’EIES décrit les mesures d’atténuation à prendre, notamment les mesures visant à atténuer les impacts des activités de construction sur l’érosion côtière à l’est du port. Malgré les impacts négatifs potentiels et les mesures d’atténuation qui ont été indiqués dans l’EIES, le Plan d’action convenu entre la SFI et son client n’a contenu aucune action relative à l’atténuation et au suivi des risques d’érosion côtière. Puisque ces mesures d’atténuation n’ont pas été incluses dans le SESAP, la problématique de l’érosion côtière n’a pas été traitée dans les rapports E&S transmis par le client à la SFI, ni dans le suivi du projet réalisé par la SFI. Dans ce contexte, le CAO est incertain que les mesures recommandées dans l’EIES ont été mises en place et leur efficacité suivie.
 
Par conséquent, le CAO estime que la SFI ne s’est pas conformée aux exigences visant à garantir qu’un Plan d’action « [décrit] les dispositions à prendre pour mettre en oeuvre les différentes mesures d’atténuation ou de correction », notamment un calendrier de mise en oeuvre, comme l’exige PS1 (para. 16). Le CAO constate en outre que, étant donné l’absence de consultation auprès des communautés potentiellement touchées et vivant dans la zone d’érosion, la SFI n’a pas vérifié que le client a élaboré un Plan d’action « [reflétant] les résultats de la consultation sur les risques et impacts négatifs sociaux et environnementaux et les mesures et actions envisagées pour les résoudre. » (Ibid). Enfin, le CAO constate que la SFI ne s’est pas assurée que le client a divulgué le Plan d’action aux communautés touchées ou que celui-ci a prévu une structure chargée de faire des rapports aux communautés touchées (PS1, paras. 16 et 26).
 
Supervision E&S du projet par la SFI
 
Le CAO constate que les activités de supervision menées par la SFI pendant toute la durée du projet se sont focalisées sur l’élaboration et la mise en œuvre par le client des PAR destinés aux maraichers et ramasseurs de sable, et sur les questions relatives à la gestion par le client de problématiques relatives à la biodiversité (plans de gestion des habitats des tortues et des mangroves). Ceci s’explique par le fait que l’érosion côtière n’a pas été prise en compte en tant qu’impact potentiel lors de l’instruction du projet par la SFI.
 
Le CAO reconnait que la SFI et son client ont convenu en février 2016 de prendre des mesures relatives aux impacts du projet sur l’érosion côtière. Cependant, le CAO juge que ces mesures ne suffiront pas à rétablir la conformité du client, à plusieurs égards.
 
Premièrement, ces mesures convenues ne répondent pas en temps opportun aux problèmes, puisqu’elles ont été prises plus de trois ans après le début des travaux de construction, et plus de deux ans après que la SFI a été informée des préoccupations relatives aux impacts du projet sur l’érosion côtière.
 
Deuxièmement, bien qu’il accueille favorablement l’accord conclu entre le client et une institution universitaire pour financer des travaux de recherche sur l’érosion côtière, le CAO constate que le PA n’offre pas de garantie suffisante que l’analyse sera au niveau requis d’évaluation environnementale que le client doit réaliser en vertu de PS1 (paras 4ff). Le CAO constate aussi qu’aucun calendrier n’a été précisé pour la réalisation de ces travaux de recherche.
 
Troisièmement, les mesures convenues ne précisent pas la nécessité de mener des activités de consultation et de divulgation d’information exigées en vertu de PS1 (paras 20ff).
 
Quatrièmement, la SFI n’a pas cherché à s’assurer que le Plan d’action révisé a été rédigé après consultation avec les communautés touchées ou divulgué à ces communautés, comme l’exige PS1. De même, le Plan d’action ne contient pas de mécanisme de soumission de rapports externes (paras. 16 et 26).
 
Cinquièmement, la SFI a décidé de confier au Gouvernement et au PAL le traitement des préoccupations exprimées par les plaignants, sans toutefois évaluer convenablement leur volonté effective ou aptitude à traiter ces problématiques. En était également absent un cadre d’accompagnement ou de suivi qui aurait permis un retour d’informations indiquant si les préoccupations relatives aux impacts du projet étaient traitées.
 
Dans ce contexte, le CAO constate que la SFI ne s’est pas assurée que le client a répondu « aux préoccupations des communautés en rapport avec le projet » ou a procédé à une consultation « en continu à mesure que les risques et impacts se [manifestent] », comme l’exige PS1 (paras. 21 et 23). En outre, le CAO constate que la SFI n’a fourni aucune orientation qui aurait permis au client de rétablir sa conformité, en vertu de la Politique de durabilité (para. 26).
 
Conclusion et Observations
 
Le CAO a relevé un certain nombre de non-conformités dans les processus d’instruction et de supervision du projet LCT par la SFI, particulièrement en ce qui concerne : (a) l’identification et la gestion des risques et impacts potentiels du projet sur l’érosion côtière, et (b) l’implication des parties prenantes autour de ces problématiques.
 
Bien que la SFI et son client aient convenu de prendre des mesures relatives à l’analyse de l’impact du projet sur l’érosion côtière en février 2016, le CAO constate que ces mesures convenues ne correspondent pas pleinement aux obligations énoncées dans les Critères de performance en matière d’évaluation environnementale et d’implication communautaire.
 
Tout en reconnaissant que le projet n’est ni uniquement ni principalement responsable de l’érosion côtière dans la zone située à l’est du port, le CAO constate que des évaluations environnementales et sociales supplémentaires sont nécessaires pour s’assurer de la conformité aux Critères de performance de la SFI. Dans le cas où des impacts sociaux ou environnementaux sont confirmés par le processus d’évaluation, les Critères de performance recommandent que des mesures soient prises pour atténuer les impacts. Concernant l’implication des communautés, le CAO reconnait le rôle que peuvent tenir d’autres acteurs que le client de la SFI dans la conduite des consultations auprès des communautés touchées. Néanmoins, la SFI a une obligation résiduelle de veiller à ce que les communautés soient consultées au sujet des impacts du projet dans le respect des conditions énoncées dans les Critères de performance.
 
Étant données les non-conformités identifiées dans ce rapport, le CAO maintiendra cette investigation ouverte aux fins de suivi et rédigera un rapport de suivi au plus tard un an après la publication de cette enquête. Le CAO surveillera la situation jusqu’à être assuré que la SFI, par les mesures qu’elle aura prises, traite ces situations de non-conformité. Dans le cadre de ce suivi, le CAO examinera et vérifiera notamment si la SFI s’assure que les actions convenues avec le client relatives aux impacts du projet sur l’érosion côtière, énoncées dans le Plan d’action de février 2016, soient exécutées conformément aux Critères de performance.
 
Source : Liberté
 

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