Togo : réformes et les locales / Qui pour ramener le Prince au discernement ?


Tout est calme, et il n’y a pas de quoi s’alarmer. Mais l’avenir politique du pays est ombrageux. D’aucuns diront que le Togo est assis sur une braise. En cause, le refus manifeste de Faure Gnassingbé d’opérer les réformes constitutionnelles et institutionnelles recommandées par l’Accord politique global (APG) et d’organiser les élections locales, l’obstruction de toute possibilité d’alternance et la volonté de s’éterniser au pouvoir. Toutes choses qui conduisent le pays vers des lendemains incertains. Mais qui diantre pour ramener le Prince à la raison ?
 
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Une opacité ostentatoire aux réformes et aux locales
 
D’aucuns diront qu’il n’a pas fait un trait là-dessus et l’a encore relevé lors de son interview de la fois passée en Allemagne. Mais ce ne sont visiblement que des propos pour simuler une certaine disposition d’esprit à s’exécuter et entretenir l’espoir au sein de la classe politique et chez ceux qui en ont besoin. Faure Gnassingbé n’est vraiment pas prêt à mettre en oeuvre les réformes prescrites pour résorber la crise politique traversée par le pays depuis des décennies, la résultante du règne sans partage du clan Gnassingbé et de l’obstruction de toutes les voies d’alternance. La preuve ultime est le fait que ce chantier pourtant pressant est resté en l’état depuis la signature de l’Accord qui lui a accordé la légitimité nécessaire, 10 ans donc.
 
Le projet de loi introduit au forceps par le gouvernement, en amont de l’élection présidentielle du 25 avril 2015, pour simuler une certaine volonté de donner suite à ces réformes, a été rejeté en juin 2014 par les députés de l’Union pour la République (UNIR). Conséquence, Faure Gnassingbé a prétexté de la Constitution tripatouillée pour candidater et garder son fauteuil. Tout autant que l’APG, la recommandation de la Commission Vérité Justice et Réconciliation (CVJR) qu’il a lui-même mise en place relative aux réformes et prescrivant le retour aux fondamentaux de la Constitution de 1992 et l’alternance est restée sans suite depuis avril 2012 que le rapport lui a été remis en main propre. Aujourd’hui l’APG est déclaré caduc par ses porte-voix qui ne font que dire tout haut ce qu’il pense tout bas. Après Aboudou Assouma, le patron de la Cour constitutionnelle censé être au-dessus de la mêlée, c’est Florent Maganawé, le délégué de l’UNIR au débat public initié la fois dernière par la société civile qui l’a réitéré. Les commissions annoncées à la pelle soi-disant pour mener des réflexions sur les réformes et qui s’enjambent ne sont que des faux-fuyants. Des indiscrétions ont rapporté les propos du Prince ayant confié à des proches que tant qu’il sera au trône, les réformes ne seront jamais faites.
 
L’homme n’est pas plus disposé à être réceptif aux appels à l’organisation des élections locales, une alternative sérieuse à l’évènement de l’alternance. A défaut de cet idéal, les locales donneraient lieu à un semblant de partage du pouvoir et permettront aux populations de se prendre en charge ; ce qui aura le mérite de calmer un tant soit peu les tensions. Mais Faure Gnassingbé n’est visiblement pas pressé de donner corps à ce scrutin dont le pouvoir avait pourtant pris l’engagement devant l’Union européenne depuis avril 2004.
 
Qui pour ramener le Prince au discernement ?
 
Devant le refus résolu de matérialiser les réformes qui sont un engagement de sa part à travers son parti, le Rassemblement du peuple togolais (RPT), et de tenir les locales, c’est la question qui se pose, tant l’homme semble avoir dompté tout le monde. Il est resté opaque à toutes les pressions, aux appels tous azimuts, aux interpellations et autres actions visant la mise en oeuvre de ces réformes nécessaires à la paix civile durable au Togo. Pour parler comme l’homme de la rue, on dira qu’« il multiplie tout le monde par zéro ».
 
La classe politique ? Rien n’est moins sûr. L’opposition a toujours constitué une source de pression sur Faure Gnassingbé dans le cadre de la mise en oeuvre des réformes de l’APG et de l’organisation des élections locales. Depuis 2006, à l’orée des échéances électorales, ses leaders haussent le ton et conditionnent parfois leur participation à leur mise en oeuvre. Mais leurs voix restent inaudibles. Parfois le pouvoir simule des dialogues de circonstance avec la médiation des ambassadeurs occidentaux dans notre pays ou des autorités religieuses, promet à ses interlocuteurs de s’exécuter après le scrutin, mais jamais n’honore ses promesses, tournant ainsi en bourrique l’opposition. Ses composantes ont beau faire des déclarations, lancer des appels à Faure Gnassingbé et au gouvernement, manifester dans les rues pour exiger ces réformes et les locales, le pouvoir reste opaque.
 
La société civile ? Elle devrait représenter une bonne source de pression. Du moins sa voie devrait être mieux écoutée, vu qu’au contraire des partis politiques qui ont des intérêts partisans à défendre, la société civile, elle, n’est guidée que par l’intérêt général, du peuple donc. Mais sa voix non plus ne porte loin. Les associations et autres structures membres qui ont le courage de s’engager ouvertement dans la voie de la réclamation des réformes et des élections locales se comptent au bout des doigts. Au contraire d’autres pays où la société civile est résolument engagée, ici au 228 elles se retiennent d’agir et de fâcher le pouvoir qui pourrait les sevrer de sources de financements.
 
Les hommes de Dieu ? Dans tous les pays, ils constituent la troisième voie. Dans les situations de crise, leurs interventions sont salutaires. C’est aux hommes de Dieu que les appels sont souvent faits pour conduire des médiations. En cas de péril, ils n’hésitent pas à appeler au calme, mettre chacun devant ses responsabilités. Au Togo, malheureusement, les hommes de Dieu ne se sentent pas trop concernés par la situation sociopolitique périlleuse du pays. L’argument massue développé est que le religieux ne se mêle pas de la politique. Seuls les évêques du Togo, et dans une certaine mesure les dirigeants des églises évangéliques et méthodistes ont parfois ce courage d’interpeller le gouvernement sur la situation du pays. Quant aux autres congrégations, notamment les responsables de l’Union musulmane, ceux des églises baptistes et des Assemblées de Dieu, ils font l’effort de se taire. Un euphémisme pour ne pas dire qu’ils ont plutôt des accointances avec le pouvoir et préfèrent se la boucler, au nom de Dieu ! C’est l’église catholique qui se signale par des interpellations des dirigeants. On relèvera la dernière sortie des prélats qui appelaient à l’occasion du 56e anniversaire de l’indépendance du Togo la classe politique, la société civile, les citoyens, mais aussi et surtout les gouvernants à prendre leurs responsabilités face à la situation sociopolitique du pays. Mais leur exhortation n’a visiblement aucun effet sur les décideurs.
 
La communauté internationale ? Elle est souvent l’ultime recours pour les peuples en situation, ses voix portant mieux auprès des dirigeants des pays. Au Togo il fut un temps, lorsque la communauté internationale tapait du poing sur la table, le pouvoir frémissait. Mais aujourd’hui ses menaces ne font plus rien aux gouvernants qui semblent même les défier. C’est devant ses pairs de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest (CEDEAO) que Faure Gnassingbé s’était opposé à Accra en mai 2015 au projet de protocole visant à harmoniser dans ses pays membres la limitation des mandats présidentiels à deux. Combien de fois les ambassadeurs occidentaux accrédités au Togo n’ont-ils pas interpellé le gouvernement sur ces problématiques de la mise en oeuvre des réformes et de l’organisation des élections locales ? Au-delà des pressions de couloir, ces diplomates n’hésitent pas à aborder en public des questions qui fâchent. Sur les élections locales, Nicolas Berlanga-Martinez et les siens ont beau vanter les mérites de la décentralisation, annoncer leur disponibilité à accompagner le Togo dans le processus, le régime reste impassible.
 
Au demeurant, Faure Gnassingbé semble avoir dompté tout le monde. Ce qui fait dire à un confrère : « Seul Faure Gnassingbé peut ramener Faure Gnassingbé à la raison ».
 
Source : [29/06/2016] Tino Kossi, Liberté N°2224
 

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