La route de Ouaga


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J’avais écrit une fois qu’elle est bien courte la route qui mène à Ouaga, courte en ce sens que les sujets qui nous y menaient n’étaient pas si longuement mûris que cela, par les Togolais. Et surtout que la solution que nous y trouverions ne satisferait pas le peuple togolais. Y pensions-nous d’avance assez longuement ? Ouaga où nous allions, parfois les uns boudeurs par un chemin, les autres la tête pleine de ruse, par un autre chemin, sachant que le magicien du coin, d’un coup de sa baguette allait transformer en statut « démocratique » honorable, ce qui en fait n’est que coup d’État, fraude, massacres… Évidemment, ceux qui avaient la tête pleine de ruse n’y allaient pas sans avoir convenu avec le magicien, non plutôt le saint patron, du piège à mettre en place. Ainsi après les tours et les demi-tours, les acrobaties et les chorégraphies baptisés « dialogues », le piège monté se refermait sur ceux qui boudaient.
 
Avec la bénédiction du Maître de la cérémonie d’adoubement, saint Blaise. Sans douleur, bien sûr, car le piège est monté par des experts en la matière, des spécialistes en liniments de toutes sortes, en formules juridico-politiques onctueuses ( apaisement, stabilité, développement, partage du pouvoir, bonne gouvernance, alternance…). En fallait-il plus pour dormir et rêver ? Et tous revenaient, dormant tranquillement, rêvant à ce que vous savez, y compris les anciens boudeurs, heureux, contents, par le même chemin, le même avion. Tous chantant en chœur Alléluia ! Alléluia !Nous avons dialogué, nous avons la paix, nous avons la réconciliation, nous avons la joie, grâce à saint Blaise…Non, plutôt nous avons les chapeaux : chapeaux de Premier ministre, de ministres… ! Sans avoir, un tant soit peu, observé la tête du donneur de chapeaux.
 
Tant pis, si quelque chose nous démange, dans ces chapeaux, quelques punaises, quelques insectes difficiles à détecter au départ à l’œil nu,si les dimensions mêmes du chapeau se révèlent trop étroites pour nous, en sorte que nous ne pourrons vraiment le porter et être à l’aise, si nous nous rendons compte qu’il est carré alors que nous l’aurions souhaité rond, qu’il est fait d’un matériau qui ne convient pas à notre peau…que faisons-nous ? Eh bien, nous courons encore vite à Ouaga : « Oh, saint Blaise, peux-tu, s’il te plaît me changer ce chapeau, m’en fabriquer un autre… ».
 
Et saint Blaise, toujours généreux, toujours paternel, mais en fait ne pouvant donner que ce qu’il possède lui-même, le type de chapeau dans les formes et le matériau dont il fait usage lui-même, nous répond gentiment : « Mon pauvre enfant, eh bien, je te fabrique sur-le-champ encore un nouveau chapeau. Va l’essayer. S’il y a encore des problèmes, reviens me voir. On va encore arranger ça. ». Et nous, croyant toujours aux bonnes paroles de l’évangile selon saint Blaise, nous repartons satisfaits, ou presque jusqu’au moment où…
 
Et maintenant ? Quoi ? Il n’est pas mort, le bon saint Blaise, le bon saint Patron de toute la région, patron par la grâce de qui ? Je ne le dirai pas. Mais patron tout court. Même si le syndicat dont il est patron est sérieusement secoué, sérieusement menacé de ne pas pouvoir le faire accéder à la vie des saints, éternelle, pour que chacun des membres du syndicat, à son tour y accède, il est toujours là, quelque part. Qu’est-ce qui va changer ? Oh, il ne peut plus distribuer de chapeaux, n’ayant pas, malgré les tours, demi-tours, torsions et contorsions qu’on lui connaît, su conserver encore le sien propre.
 
Mais la route n’est pas coupée. Je veux dire la réflexion qui mène à Ouaga, va être mieux travaillée, mûre. Car, on ne peut pas ne pas aller voir les frères Burkinabés, échanger avec eux, en toute convivialité, envisager avec eux notre avenir commun…Quant aux chapeaux, ne vaut-il pas mieux qu’il n’y ait personne dans la sous-région qui prétende les fabriquer et les distribuer à tous, que chaque peuple fabrique ses propres chapeaux et en couronne qui il veut ?
 
En tout cas, ce que je souhaite, c’est que, comme les frères Burkinabés, nous ayons désormais les yeux complètement ouverts pour observer la tête dudit saint Blaise ( saint parce que innocent de tout crime de sang, même du meurtre de Sankara ! Y croiriez-vous ?) et en conclure que telle qu’elle est, elle ne pouvait nous donner que de mauvais chapeaux. Faut-il encore expliquer plus ? Meurtres, violence, fraudes, ruse. Je ne vois qu’un sort à réserver aux chapeaux de ces dimensions, fabriqués avec les mêmes matériaux que celui de saint Blaise : les déchirer le plus rapidement possible. Mais ceux qui arborent encore fièrement les vieux chapeaux de saint Blaise, sont-ils prêts à s’en débarrasser ?
 
Moralité de la fin : la leçon que nous administre le peuple burkinabé, c’est que les responsables de l’opposition, pour quelques chapeaux sans valeur réelle ne prendraient jamais la route de Lomé, de Dakar, d’Abidjan…ni même de Paris, de Berlin ou de Washington…ou de quelque capitale que ce soit d’où, de loin, on serait prêt à administrer aux peuples africains des leçons de dignité aujourd’hui, après avoir mis en place, félicité, soutenu et armé quand les intérêts en jeu l’exigent, pendant longtemps le règne et « le vote des bêtes sauvages », pour parler comme Amadou Kourouma.
 
La véritable route de Ouaga, c’est celle qui s’est révélée aujourd’hui au monde entier, celle du refus catégorique et définitif de nos peuples, de toute compromission avec le règne ou le vote des bêtes sauvages. Qui est prêt à s’engager sur cette route de la vraie dignité ?
 
Sénouvo Agbota ZINSOU
 

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