Tous les regards étaient tournés vendredi dernier vers le Palais des congrès de Lomé où se réunissait la Commission des lois en vue de plancher sur la proposition de loi de réformes introduite le 28 juin dernier à l’Assemblée nationale par le couple ANC-ADDI, après le report de la séance la veille.
Caricature : Donisen Donald / Liberté
Le commun des Togolais s’attendait à voir le texte étudié et poursuivre son chemin vers la plénière pour être adopté. Mais après plus de trois heures de débats houleux où le dilatoire a encore eu droit de cité, les élus du pouvoir ont décrété la fin des discussions, scellant du coup le sort de la proposition et donc des réformes. Au grand désarroi des députés de l’Alliance nationale pour le changement (ANC).
UNIR met le pied dans le plat
Vendredi 5 août 2016. Commission des lois de l’Assemblée nationale. Les députés membres se sont retrouvés pour étudier la proposition de loi de réformes introduite depuis le 28 juin par l’Alliance nationale pour le changement (ANC) et l’Alliance des démocrates pour le développement intégral (ADDI). Les Togolais avaient tous leurs regards tournés vers le Palais des Congrès, siège du Parlement, car le sujet était important. Il s’agit de la mise en œuvre des réformes réclamées par tous. Mais les échos qui commençaient à parvenir du Parlement n’étaient pas rassurants.
La séance à peine commencée, les députés de l’Union pour la République ont renoué avec leur traditionnel dilatoire, se fourvoyant dans des tas de reproches à l’endroit de leurs collègues de l’opposition, l’ANC notamment. Le débat qui devrait avoir lieu sur le contenu du texte est resté bloqué autour des vétilles. Après quelques suspensions marquées par des appels tous azimuts des élus du parti au pouvoir, sans doute pour recevoir les consignes du haut, ils reviennent décréter la fin des travaux. La séance prévue déjà la veille et qui devrait permettre de plancher sur la proposition de loi de réformes se termine ainsi. Au grand désarroi des élus de l’ANC, et aussi des Togolais qui suivaient le déroulement de la séance sur les réseaux sociaux. Car cette issue scellait le sort de la proposition de loi et des réformes mêmes.
Voici un échantillon de réactions concoctées sur la toile : « Mauvaise foi du RPT/UNIR ! Tirez dur et de manière continue sur la corde, messieurs et dames d’UNIR! Il arrivera un moment où elle se cassera et vous l’apprendrez à vos dépens! » ; « Confiscation générale du pouvoir. On sait tous ce qu’il faut faire au Togo et on fait semblant de faire de la politique. Notre problème n’est pas politique, mais un problème de rapport de force (…) Dans une société civilisée, un seul camp ne peut avoir raison tout le temps sur tout le monde. Ce n’est pas une faveur que les Togolais demandent » ; « J’ai cru entendre le Président de la République dire que pour ce qui est des réformes (de la limitation du mandat présidentiel particulièrement), le cadre propice pour cela est l’Assemblée nationale. Aujourd’hui, on nous dit que cette proposition de loi est rejetée parce que les travaux du HCRRUN offrent une perspective plus vaste, ce qui n’a même pas de sens parce qu’on aurait pu réfléchir à cette proposition avant de se pencher plus tard sur celles qui seront issues des travaux du HCRRUN. Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras, dit-on ! Mais vraisemblablement, l’Assemblée nationale qui était considérée comme l’Institution devant se pencher sur la question des réformes, ne l’est plus. Ensuite, on nous dit que c’est parce que le pouvoir est plus dans la logique d’une Cinquième République. Finalement, que veut-on faire ? ». Mettre le pied dans le plate et instaurer la 5e République, tel est en effet le dessein secret du pouvoir.
Les arguties des députés du pouvoir
C’est la proposition de loi du couple ANC-ADDI qui a nécessité la convocation de la séance et les membres de la Commission devraient plancher sur le texte et son contenu et voir ce qu’il faut y améliorer. Mais en lieu et place, ils se sont fourvoyés dans des reproches à leurs collègues de l’ANC.
Comme dans une scène géante, ils trouvent la proposition inopportune et reprochent à leurs camarades de l’opposition de ne les avoir pas consultés au préalable avant de déposer le texte. « (…) Nos collègues de l’UNIR assuraient fermes que, à la limite, nous n’avions pas le droit de déposer une proposition de loi sans avoir eu au préalable leur consentement parce que les 4/5 étaient nécessaires (pour faire adopter le texte, Ndlr)», a pesté Me Isabelle Ameganvi, la présidente du groupe parlementaire ANC au cours d’un point de presse organisé à son domicile sis à Nyékonakpoè ce vendredi dans la soirée après la journée harassante au Parlement. Elle a essayé de les raisonner, en relevant : « Est-ce que la proposition de loi répond à la procédure mise en place parce qu’il faut savoir que s’agissant de la révision constitutionnelle, c’est l’article 144 d’abord et ensuite repris avec les modalités de la procédure par le règlement intérieur de l’Assemblée…Ce qui nous engage ou nous oblige, nous autres, c’est de respecter la procédure mise en place et par la Constitution et par le règlement intérieur de l’Assemblée (…) Le consensus devait porter lors des discussions sur l’étude particulière. Nous l’avons bien déclaré dans l’exposé des motifs que cette proposition de loi-là provient d’un consensus parce que l’APG n’a pas été signé hors consensus. C’était déjà de manière consensuelle que les protagonistes de la crise togolaise ont décidé d’opérer les réformes et les points sont cités dans le point 3 de l’APG ». Mais peine perdue.
2e argutie, les députés UNIR font à leurs collègues de l’ANC le procès de n’avoir pas participé à l’atelier organisé par le Haut commissariat à la réconciliation et au renforcement de l’unité nationale (HCRRUN) du 11 au 15 juillet derniers. Isabelle Ameganvi a tenté de ramener ses interlocuteurs à la raison : « Je leur ai demandé : le HCRRUN, ils ont un mandat souverain du peuple togolais ? Nous ici dans cette salle, nous sommes des députés élus pour 5 années à l’effet de voter les lois et d’y contrôler l’action gouvernementale. La proposition que nous avions déposée-là, procède de la première fonction de l’Assemblée nationale. Est-ce que le HCRRUN a la possibilité de voter les lois ? (…) », confie-t-elle. Mais là aussi, peine perdue. Elle et ses collègues se sont fait jeter à la figure : « Le chef de l’Etat est garant de la Constitution et la CVJR a prévu la création du HCRRUN, et le HCRRUN a fait le travail ». Me Dodzi Apévon, le président du Comité d’action pour le renouveau (CAR) qui était aussi de la séance avait cru devoir arriver à dissuader ses camarades de l’UNIR, en faisant observer que lui, il était personnellement à l’atelier du HCRRUN et que c’est unanimement qu’il a été décidé de la limitation du mandat présidentiel, notamment un mandat de 5 ans renouvelable une seule fois, de même que le mode de scrutin uninominal à 2 tours. « Ce qui a été dit au HCRRUN et ce sur quoi les gens se sont entendus, qu’est-ce que ça a de différent par rapport à la proposition de loi qui est soumis aujourd’hui à l’Assemblée nationale pour qu’on veuille coûte que coûte renvoyer encore quoi au HCRRUN pour faire quoi ? », aurait dit Me Apevon, à en croire Me Ameganvi. Mais cela n’a en rien changé à la position de ses interlocuteurs.
Dans la soirée de ce vendredi, le parti au pouvoir est venu lui-même confirmer les événements de la commission des lois. « (…) Quoique les conditions de recevabilité de cette proposition soient remplies, le groupe parlementaire UNIR observe qu’elle est quasiment identique aux précédents projet et proposition de révision constitutionnelle et porte sur les mêmes dispositions qui avaient été rejetées en juin 2014 et en janvier 2015, faute de consensus. Depuis lors, aucune tentative de rapprochement des positions n’a eu lieu en vue de rechercher le consensus (…) Au moment où le HCRRUN poursuit son travail de réflexion sur les réformes politiques et institutionnelles, le groupe parlementaire UNIR encourage les acteurs politiques intéressés à verser leurs propositions dans ce processus pour mieux contribuer à la réussite des réformes », lit-on dans un communiqué rendu public ce vendredi 5 août 2016 dans la soirée et présenté comme émanant du groupe parlementaire UNIR.
Le dépit des députés de l’ANC, le peuple appelé à ses responsabilités
A la différence de la première proposition de loi dont le débat à la commission des lois en janvier 2015 fut juste suspendu, dans le cas présent, les députés du parti au pouvoir ont décrété la fin des discussions. « Nous avons eu la preuve par 9 aujourd’hui de qui ne veut pas des réformes (…) Nous avions été stupéfaits, surpris et même désabusés lorsque au retour de la concertation, le président de la commission a annoncé à tout le monde qu’après vote au niveau de la commission, la commission a décidé d’arrêter les débats concernant la proposition de loi introduite par les députés ANC et ADDI. Dans la pratique parlementaire, c’est la première fois que nous avons vécu ça. C’est un coup de force qui vient d’être opéré parce qu’on n’arrête pas les débats au parlement. On peut les suspendre et reprendre après ou continuer le débat jusqu’au vote en plénière», a déploré Ouro-Akpo Tchagnao très déçu et remonté.
Isabelle Ameganvi n’est pas moins déçue de la tournure des événements. « Nous connaissons la propension de l’UNIR quand ils ne veulent pas quelque chose ; mais là ils ont dépassé les limites du supportable (…) Ce que nous avons vécu aujourd’hui a été pire», peste la présidente du groupe parlementaire ANC, regrettant que le débat ait été très bas. « Les débats ont évolué très bas », « Je suis sortie de l’Assemblée épuisée, complètement lessivée », « Je n’imaginais pas aller travailler dans une Assemblée d’une telle bassesse », « Si c’est cela que nous allons faire du mandat parlementaire, ce n’est vraiment pas la peine », voilà un échantillon de propos tenus par la présidente du groupe parlementaire ANC pour décrire l’ambiance. A l’en croire, un élu de l’UNIR leur a même servi ce proverbe : « Si vous n’aimez pas le caca, il ne faut pas loger le doigt dans l’anus », et un autre leur a rétorqué : « Vous parlez de l’APG, il faut quitter dans ça ».
Que faire à présent devant la mauvaise foi ostentatoire des députés de l’UNIR ? La question a été posée à Me Isabelle Ameganvi. Bien que déçue, elle ne compte pas abdiquer pour autant dans la réclamation des réformes et se dit même prête à déposer une nouvelle proposition de loi au besoin. Mais devant la preuve du manque de volonté du pouvoir de mettre en œuvre les réformes, elle ne trouve aucune autre solution que d’appeler le peuple togolais à ses responsabilités. « Il est essentiel de lancer un appel au peuple à prendre ses responsabilités », a-t-elle lancé. Même son de cloche chez Ouro-Akpo Tchagnao : « Il appartient au peuple togolais de prendre ses responsabilités. Nous demandons au peuple d’arbitrer ».
Source : Tino Kossi, Liberté No. 2251 du 8 août 2016